Création d’entreprise en ligne et obligation de désignation du bénéficiaire effectif

La transformation numérique a profondément modifié le paysage entrepreneurial français, permettant désormais de créer une entreprise intégralement en ligne. Cette dématérialisation, bien qu’elle simplifie considérablement les démarches administratives, n’exonère pas les fondateurs de leurs obligations légales, notamment celle relative à la déclaration du bénéficiaire effectif. Cette exigence, issue de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, constitue une étape incontournable même lors d’une création dématérialisée. L’articulation entre ces procédures numériques et cette obligation de transparence soulève de nombreuses questions pratiques et juridiques pour les entrepreneurs.

Cadre juridique de la création d’entreprise en ligne

La création d’entreprise dématérialisée s’inscrit dans un cadre législatif précis. La loi PACTE du 22 mai 2019 a considérablement accéléré ce processus en instaurant un guichet unique électronique, opérationnel depuis janvier 2023. Cette plateforme remplace progressivement les multiples interlocuteurs traditionnels comme les Centres de Formalités des Entreprises (CFE) et permet de réaliser l’ensemble des démarches de création en un seul endroit virtuel.

Le Code de commerce encadre strictement cette procédure dématérialisée. L’article L.123-33 prévoit que « les formalités de création d’entreprise peuvent être effectuées par voie électronique » et détaille les modalités de cette dématérialisation. Cette évolution législative s’accompagne d’une simplification administrative notable, puisque le nombre de formulaires à remplir a été considérablement réduit.

Parallèlement, la directive européenne 2019/1151 relative à l’utilisation d’outils et processus numériques en droit des sociétés a renforcé ce mouvement en imposant aux États membres de permettre la création intégrale d’entreprises en ligne. La France a transposé cette directive avec l’ordonnance n°2021-1380 du 23 octobre 2021, consolidant ainsi le cadre juridique de la création dématérialisée.

Malgré cette simplification, certaines étapes restent incontournables. L’entrepreneur doit toujours fournir des documents constitutifs (statuts, justificatifs d’identité, attestation de dépôt de capital), mais peut désormais les transmettre sous forme numérisée. La signature électronique des documents, encadrée par le règlement eIDAS (n°910/2014), est pleinement reconnue juridiquement, à condition qu’elle réponde aux normes de sécurité requises.

Cette dématérialisation s’accompagne d’une réduction significative des délais de traitement. Là où une création d’entreprise pouvait prendre plusieurs semaines, la procédure en ligne permet désormais d’obtenir un numéro SIREN en quelques jours seulement, voire quelques heures dans certains cas. Cette célérité ne doit toutefois pas faire oublier que les vérifications administratives demeurent, notamment concernant la légalité de l’objet social ou la conformité des documents fournis.

Notion et identification du bénéficiaire effectif

La notion de bénéficiaire effectif constitue un pilier fondamental du dispositif de transparence financière. Selon l’article R.561-1 du Code monétaire et financier, le bénéficiaire effectif désigne « la ou les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25% du capital ou des droits de vote de la société, soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société ou sur l’assemblée générale de ses associés ».

Cette définition, issue de la 4ème directive anti-blanchiment (directive 2015/849), vise à identifier les personnes qui exercent réellement le contrôle d’une structure juridique, au-delà des apparences formelles. L’objectif est de lever le voile sur les montages complexes qui pourraient masquer l’identité des véritables détenteurs du pouvoir économique.

L’identification du bénéficiaire effectif s’effectue selon trois critères alternatifs :

  • Le critère capitalistique : détention directe ou indirecte de plus de 25% du capital
  • Le critère des droits de vote : détention directe ou indirecte de plus de 25% des droits de vote
  • Le critère du pouvoir de contrôle : exercice par tout autre moyen d’un pouvoir de contrôle sur la société
A lire également  La contestation des enquêtes sociales bâclées : stratégies et enjeux juridiques

Dans les situations où aucune personne physique n’est identifiable selon ces critères, le représentant légal de la société (président, gérant, directeur général) est considéré, par défaut, comme bénéficiaire effectif. Cette solution de repli, prévue par l’article R.561-2 du Code monétaire et financier, garantit qu’une personne physique soit toujours désignée.

L’identification peut s’avérer complexe dans certaines structures à l’actionnariat ramifié. Par exemple, dans une chaîne de participations indirectes, il convient de multiplier les pourcentages de détention à chaque niveau pour déterminer le pourcentage final. Ainsi, si la société A détient 60% de la société B, qui elle-même détient 50% de la société C, alors l’actionnaire de A détient indirectement 30% de C (60% × 50%).

La jurisprudence a progressivement précisé les contours de cette notion. Dans un arrêt du 24 février 2021, la Cour de cassation a confirmé que l’approche devait être substantielle et non formelle, en s’attachant à la réalité du contrôle exercé plutôt qu’aux apparences juridiques. Cette interprétation téléologique renforce l’efficacité du dispositif face aux montages sophistiqués.

Procédure de déclaration du bénéficiaire effectif

La procédure de déclaration du bénéficiaire effectif s’articule autour d’un document spécifique : le document relatif au bénéficiaire effectif (DBE). Cette formalité, instaurée par l’ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016 et précisée par le décret n°2017-1094 du 12 juin 2017, constitue une obligation légale pour toutes les sociétés immatriculées au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS).

Lors de la création d’une entreprise en ligne, le DBE doit être déposé simultanément à la demande d’immatriculation. Ce document contient des informations précises sur le bénéficiaire effectif :

  • Identité complète (nom, prénoms, date et lieu de naissance, nationalité)
  • Adresse personnelle
  • Nature et étendue des intérêts détenus (pourcentage de capital, de droits de vote)
  • Date à laquelle la personne est devenue bénéficiaire effectif

La transmission de ce document s’effectue désormais via le guichet unique électronique géré par l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI). Cette plateforme permet de joindre le DBE aux autres pièces constitutives du dossier de création. Le formulaire Cerfa n°15-1858, disponible en format numérique, doit être complété avec précision puis signé électroniquement.

Le coût de cette déclaration s’élève à 21,41€ (tarif 2023) pour un dépôt initial. Ce montant s’ajoute aux frais d’immatriculation classiques. En cas de modification ultérieure des informations relatives au bénéficiaire effectif, une déclaration modificative devra être déposée dans un délai de 30 jours, moyennant le même tarif.

La vérification de la conformité du DBE est assurée par le greffier du tribunal de commerce. Ce dernier peut refuser l’immatriculation en cas d’informations manifestement incohérentes ou incomplètes. Il convient de noter que la responsabilité pénale du dirigeant peut être engagée en cas de déclaration mensongère, l’article L.561-49 du Code monétaire et financier prévoyant une peine de six mois d’emprisonnement et 7 500€ d’amende.

Une fois validé, le DBE est versé au Registre des Bénéficiaires Effectifs (RBE), distinct mais complémentaire du RCS. Ce registre, tenu par les greffes des tribunaux de commerce, est partiellement accessible au public. Certaines informations sensibles, comme l’adresse personnelle du bénéficiaire effectif, ne sont communicables qu’à des autorités spécifiques (magistrats, administrations fiscales, etc.).

Défis et enjeux pratiques pour les entrepreneurs en ligne

La dématérialisation de la création d’entreprise, combinée à l’obligation de déclarer le bénéficiaire effectif, soulève plusieurs défis pratiques pour les entrepreneurs. Le premier concerne la compréhension même de la notion de bénéficiaire effectif, souvent mal appréhendée par les créateurs d’entreprise novices. Cette méconnaissance peut mener à des erreurs de déclaration, notamment dans les structures à l’actionnariat complexe ou dans les cas où le contrôle s’exerce par des moyens indirects.

A lire également  Contester le refus de carte d'invalidité : Guide complet du contentieux administratif

La collecte des informations nécessaires représente un autre défi majeur. L’entrepreneur doit obtenir des données personnelles précises sur chaque bénéficiaire effectif, incluant des justificatifs d’identité. Cette exigence peut s’avérer problématique lorsque ces personnes résident à l’étranger ou lorsqu’elles sont réticentes à communiquer certaines informations qu’elles jugent confidentielles. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a d’ailleurs émis des recommandations sur la protection de ces données sensibles.

L’articulation entre les différentes plateformes numériques pose parfois des difficultés techniques. Bien que le guichet unique vise à simplifier les démarches, certains entrepreneurs rapportent des problèmes d’interopérabilité ou des bugs informatiques qui ralentissent le processus. Ces difficultés techniques sont généralement transitoires mais peuvent considérablement retarder l’immatriculation d’une entreprise.

La question du suivi et des mises à jour constitue un enjeu souvent sous-estimé. Toute modification dans la répartition du capital ou dans la gouvernance peut entraîner un changement de bénéficiaire effectif, nécessitant une déclaration modificative dans un délai de 30 jours. Cette obligation continue représente une charge administrative que les entrepreneurs doivent intégrer dans leur gestion courante.

Pour les startups à forte croissance, les levées de fonds successives modifient régulièrement l’actionnariat, multipliant les déclarations modificatives. De même, les holdings familiales ou les structures d’investissement peuvent présenter des schémas de contrôle évolutifs qui nécessitent une vigilance constante.

Face à ces défis, plusieurs solutions émergent. Des outils de suivi automatisé des modifications capitalistiques se développent pour alerter les dirigeants des changements nécessitant une nouvelle déclaration. Parallèlement, certains prestataires spécialisés proposent désormais un accompagnement dédié à l’identification et à la déclaration des bénéficiaires effectifs, complétant l’offre traditionnelle des experts-comptables et avocats.

Perspectives d’évolution et recommandations stratégiques

L’avenir de la création d’entreprise en ligne et de la déclaration des bénéficiaires effectifs s’inscrit dans une dynamique d’évolution constante. La 5ème directive anti-blanchiment (directive 2018/843), déjà transposée en droit français, a renforcé les exigences de transparence en interconnectant les registres nationaux des bénéficiaires effectifs au niveau européen. Cette interconnexion, opérationnelle via le système BORIS (Beneficial Ownership Registers Interconnection System), facilite l’accès transfrontalier aux informations sur les bénéficiaires effectifs.

La technologie blockchain pourrait transformer radicalement ces procédures dans un futur proche. Plusieurs projets pilotes, notamment en Estonie et au Luxembourg, expérimentent l’utilisation de registres décentralisés pour garantir l’intégrité et l’immuabilité des informations relatives aux bénéficiaires effectifs. Ces technologies permettraient de tracer avec certitude l’historique des modifications tout en simplifiant les procédures de vérification.

Pour les entrepreneurs qui créent leur entreprise en ligne, plusieurs recommandations stratégiques s’imposent :

  • Anticipation : Identifier les bénéficiaires effectifs avant même de lancer la procédure d’immatriculation en ligne, en collectant préalablement tous les justificatifs nécessaires
  • Documentation : Conserver une trace écrite du raisonnement ayant mené à l’identification du bénéficiaire effectif, particulièrement utile en cas de contrôle
  • Veille juridique : Mettre en place un système d’alerte sur les évolutions législatives concernant les bénéficiaires effectifs, notamment via les newsletters des organisations professionnelles

La formation des dirigeants sur ces questions devient un enjeu majeur. Des modules spécifiques dédiés à la transparence financière et à l’identification des bénéficiaires effectifs commencent à intégrer les programmes d’accompagnement des créateurs d’entreprise. Ces formations, souvent proposées par les Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI) ou les incubateurs, permettent de sensibiliser les entrepreneurs dès le démarrage de leur projet.

L’approche proactive face à ces obligations ne doit pas être perçue uniquement comme une contrainte réglementaire mais comme un atout stratégique. Une transparence maîtrisée renforce la confiance des partenaires commerciaux et facilite l’accès au financement bancaire. Les institutions financières, soumises elles-mêmes à des obligations strictes en matière de lutte contre le blanchiment, valorisent les entreprises qui démontrent une gouvernance claire et transparente.

À plus long terme, l’harmonisation internationale des registres de bénéficiaires effectifs constitue un objectif affiché par le Groupe d’Action Financière (GAFI). Cette évolution faciliterait considérablement le développement international des entreprises en standardisant les procédures de déclaration et en réduisant les risques de non-conformité lors de l’implantation à l’étranger.

A lire également  Expropriation et indemnisation : Comprendre vos droits et les procédures légales

Questions fréquentes et cas pratiques

La complexité entourant la déclaration des bénéficiaires effectifs lors d’une création d’entreprise en ligne suscite de nombreuses interrogations. Voici des réponses aux questions les plus fréquemment posées, illustrées par des cas pratiques.

Cas d’une SASU créée intégralement en ligne

Question : Dans le cas d’une SASU (Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle) créée par un entrepreneur individuel, qui doit être déclaré comme bénéficiaire effectif ?

Réponse : Dans cette configuration simple, l’associé unique, détenant 100% du capital et des droits de vote, est automatiquement le bénéficiaire effectif. Si cet associé unique est une personne morale, il faudra remonter la chaîne de détention jusqu’à identifier la ou les personnes physiques qui contrôlent cette personne morale.

Exemple pratique : Monsieur Martin crée une SASU pour son activité de conseil en informatique. Détenant l’intégralité des actions, il est le bénéficiaire effectif à déclarer. La procédure est relativement simple puisqu’il suffit de remplir le DBE avec ses propres informations personnelles.

Cas d’une startup avec plusieurs fondateurs et investisseurs

Question : Comment identifier les bénéficiaires effectifs dans une SAS créée par trois fondateurs, avec l’entrée au capital d’un business angel ?

Réponse : Il faut analyser précisément la répartition du capital et des droits de vote. Si l’un des associés détient plus de 25% du capital ou des droits de vote, il sera considéré comme bénéficiaire effectif. Si plusieurs associés dépassent ce seuil, ils devront tous être déclarés. Si aucun ne dépasse 25%, il faudra examiner si l’un d’eux exerce un contrôle par d’autres moyens (pacte d’actionnaires, droits de veto, etc.).

Exemple pratique : Trois fondateurs créent une SAS avec la répartition suivante : Fondateur A (30%), Fondateur B (20%), Fondateur C (20%), Business Angel (30%). Dans ce cas, le Fondateur A et le Business Angel, dépassant chacun le seuil de 25%, devront être déclarés comme bénéficiaires effectifs.

Cas des structures de contrôle indirectes

Question : Comment déterminer les bénéficiaires effectifs lorsque l’actionnariat passe par une holding familiale ?

Réponse : Il convient d’appliquer une méthode de calcul par transparence, en multipliant les pourcentages de détention à chaque niveau. Une personne physique sera considérée comme bénéficiaire effectif si, après ce calcul, elle détient indirectement plus de 25% du capital ou des droits de vote de la société opérationnelle.

Exemple pratique : Une holding familiale détient 60% d’une SAS nouvellement créée. Cette holding est elle-même détenue à 40% par Madame Durand, 35% par Monsieur Durand et 25% par leur fils. Dans ce cas, Madame Durand contrôle indirectement 24% de la SAS (60% × 40%), Monsieur Durand 21% (60% × 35%), et leur fils 15% (60% × 25%). Si aucun autre actionnaire direct de la SAS ne dépasse 25%, et qu’aucun membre de la famille n’exerce un contrôle par d’autres moyens, c’est le représentant légal de la SAS qui sera déclaré comme bénéficiaire effectif par défaut.

Cas des modifications post-création

Question : Quelles sont les obligations en cas de changement d’actionnariat après la création de l’entreprise ?

Réponse : Tout changement affectant les informations contenues dans le document relatif au bénéficiaire effectif doit faire l’objet d’une déclaration modificative dans les 30 jours suivant la modification. Cela concerne tant l’identité du bénéficiaire effectif que les modalités du contrôle qu’il exerce.

Exemple pratique : Une SAS créée en ligne avec deux associés à 50% chacun réalise une augmentation de capital six mois après sa création, diluant l’un des fondateurs à 20% au profit d’un nouvel investisseur qui acquiert 30%. Cette modification de l’actionnariat fait apparaître un nouveau bénéficiaire effectif (l’investisseur) et modifie la situation de l’un des fondateurs qui n’est plus bénéficiaire effectif. Une déclaration modificative devra être déposée dans les 30 jours suivant cette opération.

Ces cas pratiques illustrent la diversité des situations rencontrées par les entrepreneurs et soulignent l’importance d’une analyse précise de la structure de contrôle de l’entreprise dès sa création en ligne. Ils mettent en lumière la nécessité d’une vigilance constante face aux évolutions capitalistiques qui peuvent modifier l’identification des bénéficiaires effectifs tout au long de la vie de l’entreprise.