Il ne se passe pas de semaine sans que le débat autour de la multidisplinarité ne s’enrichisse d’un commentaire, d’une réaction, d’une idée, d’un texte nouveau voire d’une critique nouvelle. Peu de sujets suscitent autant de points de vue contrastés et de prises de position tranchée , laissant ainsi peu de place à un débat serein. Tout se passe comme si certaines valeurs essentielles du métier d’avocat étaient mises en péril.
S’agit-il vraiment d’une question de principe ? Ou la polémique ne fait-elle rage qu’autour de parts de marché ? S’agit-il d’une évolution inéluctable ou d’un fait déjà largement acquis ?
En bref la multidisciplinarité consiste pour un avocat ou un cabinet d’avocats à exercer sa profession aux côtés d’autres professionnels en vue d’offrir à des clients, le plus souvent communs, une palette de services la plus large possible exercés de façon intégrée. C’est donc un effet de synergie qui est recherché, fondé sur une vision commune des besoins des clients et sur une culture de groupe où chacun travaille en fonction des autres dans l’intérêt du client. Chacun des membres du MDP constitue un point d’accès aux services des autres.
Deux formes différentes de MDPs paraissent exister : d’une part une véritable intégration opérationnelle assortie d’un partage des pertes et profits et, d’autre part, une coopération étroite au plan opérationnel mais basée sur une large autonomie des partenaires. Dans le premier cas le MDP cherchera à se profiler dans les domaines où divers métiers sont nécessaires simultanément. Dans le second cas le MDP combinera services intégrés, utilisation du réseau et activités plus traditionnelles
Les partisans des MDPs y voient, pour les avocats, l’occasion unique de mieux servir les clients manifestant un besoin de conseils dans des domaines variés, excédant notablement la sphère juridique, et la possibilité pour eux de servir de façon plus proactive et globale leurs clients. Il leur semble bien plus efficace de combiner leurs conseils à ceux d’autres professionnels.
Les adversaires du multidisciplinaire redoutent une perte d’indépendance pour l’avocat et la méconnaissance des règles de conflit d’intérêts au préjudice de l’image de la profession. Au surplus l’avocat deviendrait l’otage d’une culture ‘mercantile’ difficilement conciliable avec les caractéristiques dites traditionnelles du métier d’avocat.
LA DEMANDE DES CLIENTS
1.1. Le contexte général
Il est sans doute inutile de justifier ici combien le rôle de l’avocat a évolué. Désormais plus qu’un plaideur il faut être un conseiller ouvert aux enjeux économiques des entreprises et apte à les aider à réaliser leurs objectifs. De simple spectateur, l’avocat moderne est devenu un conseiller actif et joue de plus en plus souvent un rôle décisif. C’est que l’avocat identifie les risques juridiques, fiscaux, réglementaires et permet d’optimaliser les avantages attendus d’une transaction. Il devient donc un acteur aux côtés de son client, se profilant d’ailleurs comme un partenaire rémunéré partiellement par un success fee, ou, à tout le moins, par un honoraire calculé en fonction des enjeux.
L’avocat moderne fait des business plan, se préoccupe de marketing comme de prix de revient et dirige une entreprise commerciale tout en veillant à perpétuer l’éthique professionnelle que de plus anciens lui ont apprise.
Mais l’avocat veut aussi se profiler sur un marché de plus en plus ouvert et donc concurrentiel. Il s’agit d’être meilleur, plus rapide, plus créatif et moins cher ; il faut apporter par ses conseils une valeur ajoutée et trouver des solutions.
Les plus grands cabinets belges – encore fort modestes à l’échelle mondiale – facturent plus d’un milliard de francs par an à leurs clients. Il s’agit évidement de véritables entreprises .
1.2. Mais qu’attendent les clients de leurs avocats ?
Ce que les clients souhaitent fondamentalement obtenir de leurs avocats c’est à la fois une aide dans leurs transactions et l’assurance d’un risque juridique identifié et contrôlé. Ils veulent des solutions et non plus simplement un avis qui les laissent seuls face aux décisions à prendre. L’avocat doit donc jouer un rôle de guide permettant à son client de contourner les obstacles sans risque et de réaliser ses stratégies d’entreprise.
Les acteurs du monde économique ne sont pas dépourvus d’assistance juridique et ils peuvent généralement compter sur des juristes internes ou sur une expérience pratique importante leur permettant de réduire leurs risques. Dans ce contexte les clients attendent de leurs avocats une valeur ajoutée à leur propre analyse. Ceux-ci devront donc faire preuve non seulement de connaissances techniques mais aussi d’une excellente compréhension du métier de leurs clients. Ce dernier élément implique la connaissance du secteur d’activité, des contraintes de concurrence, de l’évolution du métier et du marché, etc. La présence d’un avocat au sein d’un MDP constitue de ce point de vue un avantage important car permettant à l’avocat de mieux apprécier les enjeux économiques et de jouer un rôle plus actif dans sa mission de conseil.
Dans cette nécessaire analyse du métier de son client l’avocat traditionnel est souvent mal armé tandis que d’autres professions ont bien mieux intégré l’aspect économique de l’activité des clients.
Les clients ont enfin des besoins globaux qui se limitent très rarement à une question juridique isolée. Par exemple l’acquisition d’une entreprise suppose fréquemment l’intervention de différents professionnels : réviseur d’entreprises, spécialiste du risque informatique ou environnemental, fiscaliste, technicien informatique, notaire, banquier, consultants divers, etc. Le client constituera son équipe de conseillers soit en sélectionnant ceux-ci individuellement soit en faisant appel à des équipes multidisciplinaires déjà rompues au travail en commun et qui lui épargneront les difficultés de coordonner les tâches de chacun. C’est évidemment dans cette dernière hypothèse que les MDs prennent tous leur sens; et ceci est d’autant plus vrai lorsque la transaction est transfrontalière ce qui implique alors de faire appel à des réseaux de conseillers domaine dans lequel les MDPs ont démontré un grand savoir faire.
1.3. Que proposent les avocats ?
Face à ces besoins les avocats belges sont restés, dans leur grande majorité, fort timorés, laissant ainsi la place à quelques cabinets de plus grande taille, aux banquiers et aux conseillers en tous genre, au nombre desquels les Big Five.
Au plan international on a vu l’apparition de cabinets de grande taille, surtout américains. Ensuite ce fut l’arrivée de véritables cabinets internationaux, principalement sur l’initiative de cabinets d’avocats anglais. A de très rares exceptions près aucun cabinet d’avocats n’a atteint une taille et une couverture géographique mondiale. Le plus grand d’entre eux compte environ 3.500 avocats établis dans 30 pays bien loin des 150.000 collaborateurs présents dans 140 pays du plus grand des Big Five.
La question de savoir s’il fallait former des alliances avec d’autres professions s’est donc d’autant plus naturellement posée. La tendance actuelle – bien que timide – va dans un sens positif et l’on a vu un certain nombre de cabinets élargir leur périmètre d’activités aux notaires, aux conseillers fiscaux, à des spécialistes (non juristes) des marques et brevets, à des spécialistes en ‘corporate finance’ ou à des consultants.
Beaucoup de ces alliances ont des représentants en Belgique ce qui n’a pas manqué d’alimenter la réflexion sur la multidisciplinarité. En particulier la présence de notaires hollandais et de réviseurs allemands dans les plus grands cabinets d’avocats installés en Belgique ne permet plus d’ignorer le sujet.
Quels que soient les critiques formulées à l’encontre des MDP’s ceux-ci existent donc depuis longtemps et ont progressivement pris place dans le marché. C’est ainsi que dans son classement des 50 plus grands cabinets d’avocats, la IFLR classe 4 cabinets liés aux Big Five parmi les 20 premiers. En Belgique de récentes initiatives de différents Barreaux permettent progressivement l’apparition au grand jour de pratiques multidisciplinaires et le moment paraît donc venu de s’interroger sur leur avenir.