La gestion entrepreneuriale du cabinet d’avocats

De nombreux avocats exercent aujourd’hui leur profession au sein d’une entreprise. Cette affirmation n’aurait pu être faite avec autant d’assurance il y a à peine 20 ans. En moins d’une génération le modus operandi de la profession d’avocat a connu une transformation sans précédent. Cette transformation des structures et des modes d’opération n’a heureusement pas altéré ou porté atteinte ni à la spécificité du métier d’avocat, ni aux règles, codes de conduite ou modalités fixant le périmètre de l’activité de l’avocat.

La gestion optimale de l’entreprise d’avocats veillera à maintenir constamment en équilibre l’efficacité entrepreneuriale et le respect des principes déontologiques que les bouleversements récents dans la profession devraient renforcer.

Contrairement au consultant, à l’auditeur, au réviseur ou à l’expert-comptable, l’avocat défend les intérêts qui lui sont confiés par des tiers-clients, que ce soit dans sa mission de représentation et d’assistance des parties en justice, dans ses fonctions de consultation, négociation, transaction, rédaction d’actes et conventions ou encore de représentation auprès d’autorités publiques.

 

L’entreprise d’avocat est une structure capitalistique particulière

Une première spécificité de l’entreprise d’avocat est sa structure capitalistique particulière, qui est différente de l’entreprise commerciale classique, caractérisée très souvent par une dissociation complète de l’actionnariat et de la gestion effective de la société. Dans l’entreprise d’avocats, il y a généralement confusion entre les deux organes que sont l’assemblée générale des actionnaires-associés et le conseil d’administration. Dans de nombreuses associations d’avocats, tous les associés sont à la fois actionnaires et administrateurs. Il est même fréquent que la gestion journalière se confonde partiellement avec l’assemblée générale et le conseil d’administration. Dans bon nombre d’associations d’avocats, l’assemblée générale se confond de fait avec le conseil d’administration et l’organe de gestion journalière. Par conséquent, la gestion des relations entre associés conditionne très souvent la réussite ou non d’un cabinet d’avocats intégré.

Une deuxième spécificité distingue l’entreprise d’avocats de l’entreprise commerciale classique. Il s’agit de la division de l’entreprise entre d’une part les professionnels (avocats-associés et avocats-collaborateurs) et d’autre part l’ensemble des ressources humaines. Ce groupe, qui comprend les secrétaires, le personnel administratif, le département informatique, le département des ressources humaines, constitue généralement en nombre l’autre moitié d’un cabinet.

Une autre particularité de l’entreprise d’avocats réside dans le fait qu’elle est moins hiérarchisée qu’une entreprise commerciale de type classique. La nécessité de nombreuses délégations pour la gestion journalière y est évidente, ainsi que la recherche constante de larges consensus au sein du groupe des associés. Ces délégations, qui sont fréquemment organisées au sein de comités les plus variés, permettent une large répartition des tâches et une réelle solidarité dans la formation du processus décisionnel.

L’absence de patrimonialité de la clientèle est une autre caractéristique de l’entreprise d’avocats. Parmi les professions libérales et les entreprises de services, seule la clientèle de l’avocat n’a pas de valeur patrimoniale propre. Contrairement aux notaire, médecin, réviseur, expert-comptable, consultant et autres, la clientèle de l’avocat ne constitue pas, ce qu’il est convenu d’appeler vulgairement, un fonds de commerce, susceptible d’évaluation et donc de transmission ou cession à titre onéreux. Il s’agit d’une caractéristique du métier qui a également des conséquences au niveau de sa gestion et de sa structure.

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Tous ces caractères spécifiques du cabinet d’avocats ne doivent toutefois pas faire obstacle à une gestion professionnelle de l’entreprise. Il conviendra de gérer celle-ci de la manière la plus efficace, recourant aux techniques de gestion les plus modernes.

Lorsqu’on aborde les problèmes liés à la gestion entrepreneuriale d’un cabinet d’avocats, il convient de distinguer deux axes de réflexion. Il y a tout d’abord la gestion de l’activité juridique, ce que les Anglo-Saxons conviennent d’appeler le ‘law management ». Il y a d’autre part la gestion opérationnelle du cabinet. La distinction est certes parfois artificielle et tout comme dans l’entreprise commerciale la gestion forme évidemment un tout indissociable. Le « law management » est évidemment un concept différent de celui de la simple « fabrication » du produit juridique. Il comprend un vaste domaine où l’informatique joue un rôle de plus en plus prépondérant. Le law management inclut également le recrutement, l’éducation permanente de l’avocat, le marketing, la gestion du temps (time management), ainsi que le développement où l’internationalisation et la globalisation sont des éléments stratégiques majeurs.

 

La gestion de l’activité juridique d’un cabinet d’avocats

La gestion de l’activité juridique d’un cabinet d’avocats présente de nombreux aspects et la définition de « l’objet social » est primordiale : Quelle activité entend-il développer ? Quels sont les domaines du droit qu’il entend pratiquer ? Quel est le périmètre qu’il entend se fixer dans son activité professionnelle ? Quelle est le genre de clientèle qu’il entend servir ? Quel est le portrait robot du collaborateur qu’il entend engager ? Autant de questions essentielles que tout cabinet doit se poser, non seulement au moment de sa constitution, mais également à des intervalles réguliers dans une vision stratégique plus globale.

Il s’agit de choix fondamentaux et multiples qui doivent être partagés par l’ensemble des associés. Entend-on se spécialiser et créer ce qu’il est convenu d’appeler un cabinet « niche » dans un secteur déterminé de l’activité juridique, qu’il s’agisse du droit fiscal, du droit intellectuel, du droit des télécommunications, du droit des multimédias, du droit pénal financier, du droit européen, etc. ?

Une autre option au contraire consiste à accepter n’importe quel genre de travail pour n’importe quel genre de client. C’est l’option la plus ouverte.

D’autres encore décideront de se spécialiser dans le droit des affaires ou le droit de l’entreprise dans son acception la plus large.

D’autres enfin se spécialiseront dans les services aux grandes entreprises ou au contraire aux PME.

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Comme on peut le constater, les choix sont nombreux et variés. Pour la réussite d’un cabinet, il est important que ces choix soient clairement définis et qu’ils fassent l’objet d’un large accord entre associés. Certains cabinets vont jusqu’à préciser ces options dans une charte définissant le genre d’activité que le cabinet entend entreprendre et le genre de clients à exclure d’emblée. Dans certains cabinets bien organisés, il n’est pas rare de voir l’acceptation du nouveau client faire l’objet d’une procédure préalable.

S’il est indispensable, lors de la constitution d’une association d’avocats ou lors de l’établissement d’un plan stratégique d’une association existante, de fixer des objectifs en matière de périmètre d’activité et de type de services juridiques à rendre, il est également important de réfléchir au cadre de vie professionnelle dans lequel l’avocat-associé entend évoluer, travailler et s’épanouir. Dans la pratique anglo-américaine, il a souvent été constaté que l’objectif majeur sinon unique de la profession d’avocat consiste en une maximalisation des bénéfices (maximizing profitability). Dans la pratique continentale européenne, les éléments épanouissement personnel et joie de vivre professionnellement l’ont souvent emporté sur des considérations purement capitalistiques et matérialistes. Le vrai défi est évidemment de trouver l’équilibre entre les notions de profitabilité et épanouissement.

Une autre option fondamentale pour un cabinet d’avocats est de définir clairement la structure financière du cabinet et le cadre juridique dans lequel doivent s’insérer les accords pris en matière de partenariat, partage des bénéfices et des frais généraux.

Mais la question essentielle – et parmi les plus difficiles à résoudre – est évidemment la définition de la structure du partenariat. Il est banal d’affirmer que c’est dans l’accord de partenariat que se situe la clé de la réussite ou au contraire de l’échec de nombreuses entreprises d’avocats. Il est impossible, dans le cadre de cette analyse, de décrire de façon exhaustive les différents paramètres présidant à l’établissement de conventions entre avocats-associés. Les variations sont infinies. Mais plus elles sont simples, plus elles ont l’avantage de recueillir une grande adhésion.

Les formules d’associations les plus simples partent évidemment du postulat d’une intégration totale de tous les revenus des associés, le bénéfice net étant constitué par le total des recettes diminué du total des frais généraux, sans qu’il soit nécessaire d’individualiser ni les recettes ni les frais généraux dans le chef de l’un ou l’autre associé. Ce principe évoque de nombreuses nuances et peut appeler de nombreuses rectifications. Dans les recettes, par exemple, intervient la notion de temps plein de l’associé. Si l’avocat-associé est titulaire d’une charge d’enseignement, comme c’est fréquemment le cas en Europe continentale, ou exerce d’autres fonctions (mandat d’administrateur, par exemple) se pose immédiatement la question de savoir d’une part comment limiter les prestations d’enseignement et d’autre part comment les intégrer financièrement dans l’activité de l’association.

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Du côté des frais, le point le plus délicat et difficile à gérer est souvent celui des frais de représentation ou des frais d’usage mixte, telle l’utilisation d’un véhicule à titre professionnel, la présence à des congrès d’avocats, journées d’étude ou séminaires.

Il faut que les règles de conduite soient précisées de façon claire. Trop d’associations d’avocats se sont dissoutes en raison de problèmes apparemment anodins mais psychologiquement sensibles.

Une fois des règles claires et précises établies pour l’établissement du bénéfice net, encore faut-il s’entendre sur la répartition de ce bénéfice net entre les associés. Dans cette répartition bénéficiaire, les Anglo-Saxons nous ont enseigné qu’il existe en plus de l’intégration totale des recettes et des dépenses, deux types de répartition. D’une parte, une répartition égalitaire variant uniquement en fonction de l’âge et l’expérience, le « lock-step system », c’est-à-dire un système de répartition par étapes successives préétablies. D’autre part, un système basé sur une série d’éléments objectivables tels que l’apport de clients, le nombre d’heures facturables, ou l’effet levier, c’est-à-dire le nombre de collaborateurs mis au travail par l’associé. Il s’agit là de critères assez précis, qui sont soumis à l’appréciation d’un comité de rémunération décidant, souvent de façon relativement discrétionnaire, de la part bénéficiaire de chaque associé.

Il n’y a pas de système parfait. Mais l’on restera particulièrement attentif au fait qu’il n’y a pas de matière plus importante à régler dans une association d’avocats que la définition du bénéfice net de l’association et sa répartition entre associés.

Il convient sans doute d’ajouter que cette répartition bénéficiaire est souvent fonction du nombre de parts détenues au sein de la société. Cette acquisition des parts, tout comme son évolution et les cessions à intervenir, sont des aspects essentiels dans le règlement financier entre associés.

A ces différents aspects s’ajoutent les nombreux problèmes soulevés par la constitution du capital-pension, les assurances diverses, les incapacités de travail. Il s’agit là d’un ensemble de règles particulièrement difficiles à gérer, qui forment sans doute l’ossature d’un cabinet d’avocats, ainsi que son potentiel d’expansion, d’épanouissement et de survie.

L’on peut aisément conclure sur ce point en affirmant que la gestion des relations entre associés-actionnaires d’une entreprise d’avocats se situe au cœur des priorités dans la gestion d’un cabinet d’avocats.

La gestion des ressources humaines juridiques constitue sans aucun doute le deuxième pilier de la gestion juridique du cabinet d’avocats. Cette gestion est professionnalisée depuis le moment du recrutement du jeune collaborateur-stagiaire jusqu’à l’âge de la pension de l’associé. Aucun cabinet d’avocats ne survit ni ne prospère sans une évaluation constante, professionnelle et efficace de chaque acteur engagé dans l’entreprise juridique. Cet effort d’évaluation, qui vise les ténors (rainmakers) comme les jeunes débutants, commence bien avant le premier jour de la collaboration au sein du cabinet. Il débute dès le recrutement du jeune collaborateur-stagiaire.