L’Audit Énergétique et le Décret Tertiaire : Cadre Juridique et Mise en Conformité des Bâtiments

Face aux défis climatiques actuels, la législation française impose des mesures strictes pour réduire la consommation énergétique des bâtiments. Parmi ces dispositifs, l’audit énergétique et le Décret Tertiaire constituent deux piliers fondamentaux qui transforment profondément les obligations des propriétaires et gestionnaires d’immeubles professionnels. Cette réglementation, inscrite dans une dynamique européenne plus large, fixe des objectifs ambitieux de réduction des consommations énergétiques à horizon 2030, 2040 et 2050. Les bâtiments à usage tertiaire, représentant près d’un tiers de la consommation énergétique nationale, sont particulièrement concernés par ces nouvelles exigences légales qui modifient en profondeur les pratiques du secteur immobilier.

Cadre juridique de l’audit énergétique dans le secteur tertiaire

Le cadre juridique encadrant l’audit énergétique des bâtiments tertiaires s’est considérablement renforcé au cours des dernières années. La loi ELAN (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) du 23 novembre 2018 constitue le socle législatif principal, complété par le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019, communément appelé « Décret Tertiaire » ou « Dispositif Éco-Énergie Tertiaire« . Ce dernier a été précisé par l’arrêté du 10 avril 2020 relatif aux obligations d’actions de réduction des consommations d’énergie dans les bâtiments à usage tertiaire.

Cette réglementation s’inscrit dans la continuité de la Directive européenne 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique, modifiée par la Directive 2018/2002, qui impose aux États membres de mettre en place des mesures pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. Au niveau national, ces dispositions s’articulent avec la Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV) de 2015 et la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC).

Le Code de l’énergie, notamment en ses articles R.174-22 à R.174-32, détaille les modalités d’application de ces obligations. La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 est venue renforcer ce dispositif en accentuant les exigences en matière de performance énergétique des bâtiments.

Champ d’application du Décret Tertiaire

Le Décret Tertiaire s’applique à tous les bâtiments, parties de bâtiments ou ensembles de bâtiments hébergeant des activités tertiaires du secteur public ou privé, dont la surface cumulée de plancher est égale ou supérieure à 1000 m². Cette surface de référence a été précisée par l’arrêté du 24 novembre 2020 qui définit la méthode de calcul.

Sont concernés les propriétaires et, le cas échéant, les preneurs à bail. Lorsque ces derniers disposent du contrôle des équipements énergétiques, ils deviennent assujettis aux obligations. Cette répartition des responsabilités a été clarifiée par l’arrêté « méthode » du 10 avril 2020 et son modificatif du 24 novembre 2020.

Les typologies d’activités concernées sont vastes et comprennent :

  • Les bureaux et administrations
  • Les commerces
  • Les établissements d’enseignement
  • Les établissements de santé
  • Les hôtels et restaurants
  • Les équipements sportifs et culturels
  • Les gares, aéroports et autres infrastructures de transport

Il convient de noter que certaines exemptions existent, notamment pour les constructions provisoires, les lieux de culte, ou encore les bâtiments destinés à des activités opérationnelles à des fins de défense, de sécurité civile ou de sûreté intérieure du territoire.

L’application du Décret Tertiaire est progressive et s’articule autour d’objectifs chiffrés de réduction des consommations d’énergie finale : -40% en 2030, -50% en 2040 et -60% en 2050, par rapport à une année de référence qui ne peut être antérieure à 2010. Alternativement, les assujettis peuvent viser l’atteinte d’un niveau de consommation en valeur absolue, défini par typologie d’activité et déterminé par un arrêté ministériel.

Méthodologie et contenu de l’audit énergétique réglementaire

L’audit énergétique réglementaire dans le secteur tertiaire suit une méthodologie rigoureuse, définie principalement par l’arrêté du 24 novembre 2020 et encadrée par plusieurs normes techniques, dont la NF EN 16247-1 pour les audits énergétiques généraux et la NF EN 16247-2 spécifique aux bâtiments.

Cette démarche structurée se décompose en plusieurs phases distinctes et complémentaires :

Phase préparatoire et collecte des données

La première étape consiste en un recueil exhaustif des informations relatives au bâtiment. Cela comprend :

  • Les plans architecturaux et descriptifs techniques du bâtiment
  • L’historique des factures énergétiques sur au moins trois années
  • Les contrats de maintenance des équipements techniques
  • Les données d’exploitation (horaires d’occupation, températures de consigne)
  • Les éventuels diagnostics antérieurs (DPE, études thermiques)

Cette phase implique également la réalisation d’entretiens préliminaires avec les gestionnaires techniques et utilisateurs du bâtiment pour comprendre les modes d’exploitation et identifier les problématiques spécifiques liées à l’usage des locaux.

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Analyse du bâti et des équipements

L’auditeur procède ensuite à une visite approfondie du site pour examiner :

L’enveloppe thermique du bâtiment (isolation des murs, toiture, planchers, performance des menuiseries, ponts thermiques). Les systèmes de chauffage, ventilation et climatisation (CVC) avec analyse de leur rendement, état de maintenance et régulation. Les équipements d’éclairage (typologie, puissance installée, systèmes de gestion). Les autres postes consommateurs d’énergie (équipements informatiques, ascenseurs, process spécifiques).

Cette analyse s’accompagne souvent de mesures in situ (thermographie infrarouge, mesures de débit d’air, relevés de température) permettant d’objectiver les observations qualitatives.

Modélisation énergétique et analyse des consommations

L’auditeur établit un bilan énergétique détaillé du bâtiment, généralement à l’aide d’un logiciel de simulation thermique dynamique. Cette modélisation permet de :

Répartir les consommations par usage (chauffage, climatisation, ventilation, éclairage, eau chaude sanitaire, équipements). Identifier les principaux gisements d’économies d’énergie. Calculer la situation de référence qui servira de base pour mesurer les objectifs de réduction imposés par le Décret Tertiaire.

La modélisation doit être calée sur les consommations réelles observées pour garantir la fiabilité des projections d’économies d’énergie.

Élaboration du plan d’actions

Sur la base des analyses précédentes, l’auditeur formule des préconisations hiérarchisées selon :

Leur potentiel d’économies d’énergie. Leur coût d’investissement. Leur temps de retour sur investissement. Leur facilité de mise en œuvre (actions à gain rapide vs travaux lourds).

Ces préconisations doivent être suffisamment détaillées pour permettre leur mise en œuvre opérationnelle et couvrent généralement trois catégories d’actions :

  • Actions sur le comportement des utilisateurs et l’exploitation
  • Optimisation des équipements techniques existants
  • Travaux d’amélioration de l’enveloppe et renouvellement des systèmes

Le rapport d’audit doit impérativement proposer des scénarios de travaux permettant d’atteindre les objectifs du Décret Tertiaire aux différentes échéances (2030, 2040, 2050), avec une estimation des investissements nécessaires et des économies générées.

Pour être conforme à la réglementation, l’audit énergétique doit être réalisé par un professionnel qualifié, titulaire d’une qualification délivrée par un organisme accrédité par le COFRAC selon les dispositions de l’arrêté du 24 novembre 2020.

Obligations déclaratives et plateforme OPERAT

Le respect des obligations issues du Décret Tertiaire s’articule autour d’un dispositif déclaratif rigoureux, matérialisé par la plateforme OPERAT (Observatoire de la Performance Énergétique, de la Rénovation et des Actions du Tertiaire). Développée par l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie), cette interface numérique constitue l’outil central de suivi et de contrôle de la performance énergétique des bâtiments tertiaires.

Fonctionnement de la plateforme OPERAT

La plateforme OPERAT, accessible à l’adresse operat.ademe.fr, permet aux assujettis de déclarer annuellement leurs consommations énergétiques et de suivre leur progression vers les objectifs réglementaires. Son architecture repose sur plusieurs modules complémentaires :

  • Un espace utilisateur sécurisé accessible par authentification
  • Un module de déclaration des consommations énergétiques
  • Un outil de calcul des objectifs personnalisés en fonction des spécificités du bâtiment
  • Un module de suivi de la trajectoire de réduction des consommations
  • Un espace documentaire regroupant les textes réglementaires et guides pratiques

La plateforme génère automatiquement, sur la base des données déclarées, une attestation annuelle qui matérialise le respect des obligations de l’année écoulée. Elle calcule également un indicateur de performance baptisé « Éco Énergie Tertiaire » qui peut être valorisé dans les communications des entités concernées.

Calendrier et obligations déclaratives

Le calendrier des obligations déclaratives s’organise selon un échéancier précis, défini par les textes réglementaires et progressivement mis en œuvre :

Au 30 septembre 2022 (initialement prévu pour le 30 septembre 2021, mais reporté) : déclaration des données de référence comprenant l’année de référence choisie (entre 2010 et 2019), les consommations annuelles de cette année de référence, ainsi que les informations relatives au bâtiment (surface, activité, occupation).

Avant le 30 septembre de chaque année à partir de 2022 : déclaration des consommations énergétiques de l’année précédente (N-1), exprimées en énergie finale, toutes énergies confondues.

Au 31 décembre 2026 : établissement du premier dossier technique complet justifiant la modulation éventuelle des objectifs en fonction des contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales.

Les années 2030, 2040 et 2050 constituent les échéances d’atteinte des objectifs de réduction des consommations (-40%, -50% et -60% respectivement), avec obligation de justifier les résultats obtenus.

Il convient de noter que le non-respect de ces obligations déclaratives expose les contrevenants à un dispositif de sanctions prévu par les textes, pouvant aller jusqu’à la publication sur un site internet des pouvoirs publics du nom des assujettis défaillants (« name and shame »), voire des amendes administratives dont le montant peut atteindre 1 500 € pour les personnes physiques et 7 500 € pour les personnes morales.

Données à déclarer et modalités de calcul

Les données à renseigner sur la plateforme OPERAT sont nombreuses et précises :

Données d’identité du bâtiment ou de l’entité fonctionnelle (adresse, référence cadastrale, surface, année de construction). Informations sur l’activité exercée selon la nomenclature définie par l’arrêté « méthode » (code d’activité, intensité d’usage). Consommations énergétiques détaillées par vecteur énergétique (électricité, gaz, fioul, réseau de chaleur, etc.) exprimées en kWh d’énergie finale. Indicateurs d’intensité d’usage permettant de moduler les objectifs en fonction de l’évolution de l’activité (nombre d’utilisateurs, amplitude horaire d’ouverture, etc.).

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La méthodologie de calcul des consommations de référence et des objectifs est complexe et prend en compte plusieurs facteurs de modulation :

  • Les variations climatiques, avec une correction des consommations en fonction des degrés-jours unifiés (DJU)
  • L’évolution de l’activité, mesurée par des indicateurs d’intensité d’usage propres à chaque typologie
  • Les contraintes techniques ou architecturales pouvant limiter les possibilités d’amélioration énergétique
  • Le volume financier des actions d’économie d’énergie, avec une notion de « disproportion économique » si le temps de retour excède un certain seuil

Ces calculs sont automatisés par la plateforme OPERAT, qui propose aux utilisateurs des outils d’aide à la saisie et des fonctionnalités de simulation permettant d’anticiper les trajectoires de consommation et d’identifier les efforts à fournir pour atteindre les objectifs réglementaires.

L’ensemble de ce dispositif déclaratif s’inscrit dans une logique de transparence et de responsabilisation des acteurs du secteur tertiaire, avec pour finalité la constitution d’une base de données nationale permettant de suivre l’évolution de la performance énergétique du parc tertiaire français.

Stratégies de mise en conformité et optimisation des investissements

Face aux exigences du Décret Tertiaire, les propriétaires et gestionnaires de bâtiments tertiaires doivent élaborer des stratégies d’investissement cohérentes et efficientes. L’enjeu consiste à atteindre les objectifs réglementaires tout en optimisant les ressources financières mobilisées, dans une approche qui doit être à la fois technique, financière et organisationnelle.

Priorisation des actions selon leur rapport coût-efficacité

La mise en conformité avec le Décret Tertiaire implique d’établir une hiérarchisation pertinente des interventions, généralement structurée en trois niveaux d’action :

Les actions à coût nul ou faible, centrées sur l’optimisation de l’exploitation et les comportements des occupants :

  • Optimisation des réglages des équipements (températures de consigne, horaires de fonctionnement)
  • Sensibilisation des utilisateurs aux écogestes
  • Mise en place d’un système de management de l’énergie (SME) conforme à la norme ISO 50001
  • Renégociation des contrats de fourniture d’énergie

Ces actions, bien que peu coûteuses, peuvent générer des économies significatives, souvent estimées entre 5% et 15% de la consommation totale.

Les interventions à coût modéré sur les équipements techniques :

  • Installation de systèmes de gestion technique du bâtiment (GTB)
  • Modernisation des systèmes d’éclairage (passage aux LED, détecteurs de présence)
  • Optimisation des systèmes de chauffage, ventilation et climatisation (équilibrage hydraulique, calorifugeage)
  • Mise en place de compteurs divisionnaires et d’outils de suivi énergétique

Ces interventions présentent généralement des temps de retour sur investissement compris entre 2 et 5 ans.

Les travaux structurels à fort investissement portant sur l’enveloppe du bâtiment et le renouvellement des systèmes :

  • Isolation thermique des façades, toitures et planchers
  • Remplacement des menuiseries
  • Modernisation complète des systèmes de production et de distribution d’énergie
  • Installation de systèmes de production d’énergies renouvelables

Ces travaux, plus coûteux, s’inscrivent dans une planification pluriannuelle des investissements et peuvent nécessiter une approche par phases, coordonnée avec les cycles de rénovation naturels du bâtiment.

Mobilisation des dispositifs de financement et d’incitation

Pour alléger la charge financière des investissements nécessaires, plusieurs mécanismes de soutien peuvent être mobilisés :

Les Certificats d’Économies d’Énergie (CEE), dispositif créé par la loi POPE de 2005, qui obligent les fournisseurs d’énergie (« obligés ») à promouvoir l’efficacité énergétique auprès de leurs clients. Dans le secteur tertiaire, de nombreuses fiches d’opérations standardisées permettent de valoriser financièrement les travaux d’amélioration énergétique.

Les aides de l’ADEME, notamment via le Fonds Chaleur pour les projets de production de chaleur renouvelable, ou les aides à la décision qui peuvent financer partiellement les audits énergétiques et études préalables.

Les prêts bonifiés proposés par la Banque des Territoires (Caisse des Dépôts) pour les acteurs publics, ou par des établissements bancaires commerciaux proposant des prêts verts à taux préférentiels pour les projets contribuant à la transition écologique.

Le recours aux Contrats de Performance Énergétique (CPE), qui permettent de confier à un opérateur spécialisé la conception et la mise en œuvre d’un programme d’amélioration énergétique, avec une garantie contractuelle sur les économies réalisées. Ces contrats peuvent inclure un financement par tiers-investisseur, limitant l’impact sur la capacité d’investissement du propriétaire.

Les subventions régionales ou locales, variables selon les territoires mais souvent significatives pour certaines typologies de bâtiments (établissements d’enseignement, équipements culturels, etc.).

Intégration dans une stratégie immobilière globale

La mise en conformité avec le Décret Tertiaire gagne à être intégrée dans une réflexion stratégique plus large sur le patrimoine immobilier :

Articulation avec les cycles de vie du bâtiment et les opérations de maintenance programmée, pour mutualiser les coûts d’intervention et limiter les perturbations d’exploitation. Coordination avec les autres obligations réglementaires (accessibilité PMR, sécurité incendie, etc.) pour rationaliser les investissements. Anticipation des évolutions des modes de travail (télétravail, flex office) qui peuvent modifier substantiellement les besoins énergétiques et les contraintes d’usage des bâtiments. Réflexion sur la valorisation immobilière induite par l’amélioration de la performance énergétique, qui peut compenser partiellement le coût des investissements.

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Cette approche globale nécessite la mise en place d’une gouvernance adaptée, associant direction immobilière, direction financière, utilisateurs et experts techniques, pour garantir la cohérence des décisions et l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes.

La mise en conformité avec le Décret Tertiaire constitue ainsi un projet d’entreprise à part entière, qui dépasse la simple dimension technique pour s’inscrire dans la stratégie de développement durable et de responsabilité sociétale de l’organisation.

Perspectives et évolutions réglementaires à anticiper

Le paysage réglementaire relatif à la performance énergétique des bâtiments tertiaires est en constante mutation, sous l’impulsion des politiques climatiques nationales et européennes. Cette dynamique normative invite les acteurs du secteur à adopter une posture d’anticipation stratégique pour préparer leurs patrimoines immobiliers aux exigences futures.

Renforcement progressif des exigences européennes

L’Union Européenne poursuit une politique ambitieuse de décarbonation du parc immobilier, matérialisée par plusieurs textes structurants qui influencent directement la réglementation française :

La Directive sur la Performance Énergétique des Bâtiments (DPEB) fait l’objet d’une révision dans le cadre du paquet « Fit for 55 », visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici 2030. La nouvelle version, en cours de finalisation, devrait introduire des exigences minimales de performance énergétique pour les bâtiments existants, avec un calendrier contraignant de mise à niveau.

La Directive Efficacité Énergétique (DEE) révisée renforce les obligations d’économies d’énergie imposées aux États membres et accentue les exigences relatives aux audits énergétiques, notamment pour les grandes entreprises.

Le Règlement Taxonomie de l’UE, entré en vigueur en 2020, établit un système de classification des activités économiques durables sur le plan environnemental. Pour le secteur immobilier, il définit des critères techniques précis permettant de qualifier un bâtiment de « durable », ce qui influence directement l’accès aux financements verts et l’attractivité des actifs.

Ces évolutions réglementaires européennes annoncent un durcissement probable des exigences nationales, avec une attention croissante portée non seulement à la performance énergétique mais aussi à l’empreinte carbone globale des bâtiments, intégrant les émissions liées à la construction et aux matériaux (carbone « gris »).

Intégration croissante des enjeux carbone

Si le Décret Tertiaire se concentre aujourd’hui principalement sur la réduction des consommations d’énergie, l’évolution prévisible de la réglementation tend vers une prise en compte plus large des émissions de gaz à effet de serre :

La RE2020 (Réglementation Environnementale 2020), applicable aux constructions neuves depuis 2022, introduit des exigences strictes en matière d’analyse du cycle de vie (ACV) et d’empreinte carbone des bâtiments. Il est probable que cette approche soit progressivement étendue au parc existant, notamment lors de rénovations significatives.

Le décret BACS (Building Automation and Control Systems) du 20 juillet 2020, transposition de la directive européenne 2018/844, impose depuis le 1er janvier 2025 l’installation de systèmes d’automatisation et de contrôle dans les bâtiments tertiaires dont la puissance nominale de chauffage ou de climatisation est supérieure à 290 kW.

Le Label E+C- (Énergie Positive et Réduction Carbone), précurseur de la RE2020, pourrait inspirer de futures exigences pour les bâtiments tertiaires existants, avec une attention particulière portée au bilan carbone global incluant les émissions liées aux matériaux et à la construction.

Cette évolution vers une approche plus holistique de la performance environnementale implique pour les gestionnaires de patrimoine de développer de nouvelles compétences en matière d’analyse carbone et d’intégrer ces considérations dans leurs stratégies de rénovation.

Vers une digitalisation accrue du suivi de la performance

La transition numérique constitue un levier majeur de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, avec plusieurs tendances réglementaires notables :

Le développement des outils de monitoring énergétique en temps réel devient progressivement une obligation, comme l’illustre le décret du 3 mai 2022 relatif aux systèmes de gestion technique des bâtiments, qui impose l’installation de systèmes d’automatisation et de contrôle dans certains bâtiments tertiaires.

L’émergence du concept de « bâtiment intelligent » (smart building) se traduit par des incitations réglementaires à déployer des capteurs, des compteurs communicants et des systèmes de pilotage automatisé des équipements.

La maquette numérique et le BIM (Building Information Modeling) s’imposent progressivement comme des outils incontournables pour la gestion du cycle de vie des bâtiments, avec une probable extension de leur caractère obligatoire dans certaines opérations de rénovation énergétique.

Les exigences en matière de reporting extra-financier, notamment dans le cadre de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) européenne, imposent aux grandes entreprises une transparence accrue sur leur performance environnementale, incluant la consommation énergétique de leurs bâtiments.

Cette digitalisation croissante offre des opportunités significatives d’optimisation mais soulève également des enjeux de cybersécurité, de protection des données et de formation des équipes qu’il convient d’anticiper dans les stratégies de mise en conformité.

Recommandations pour une anticipation stratégique

Face à ces évolutions prévisibles, plusieurs approches peuvent être recommandées aux gestionnaires de patrimoine immobilier tertiaire :

Adopter une vision prospective en visant des performances supérieures aux exigences actuelles, pour limiter le risque d’obsolescence réglementaire et préserver la valeur des actifs. Développer une expertise interne sur les questions énergétiques et environnementales, ou s’entourer de conseils spécialisés capables d’interpréter les évolutions normatives. Mettre en place une veille réglementaire structurée, éventuellement mutualisée au sein d’organisations professionnelles sectorielles. Privilégier les solutions techniques évolutives, capables de s’adapter aux futures exigences sans nécessiter de réinvestissements majeurs. Intégrer les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) dans la stratégie immobilière globale, en anticipation des obligations croissantes de reporting extra-financier.

Ces démarches d’anticipation permettent non seulement de se prémunir contre les risques de non-conformité, mais aussi de transformer une contrainte réglementaire en opportunité de création de valeur, en positionnant le patrimoine immobilier à l’avant-garde des standards de performance environnementale.