Les honoraires : combien d’études doctrinales, de jugements, d’arrêts, de sentences arbitrales, d’avis de conseils de l’Ordre, de rapports dans des colloques ou congrès professionnels, nationaux et internationaux n’y ont-ils pas été consacrés ! Et récemment encore, un numéro spécial du Journal des Tribunaux .
Ces quelques lignes ne peuvent constituer une étude scientifique et exhaustive ; elles ne contiennent que quelques considérations purement personnelles, et les rares références qui suivent ne sont données qu’à titre d’exemples.
I. LES HONORAIRES OU LA RÉMUNÉRATION DES SERVICES DE L’AVOCAT
Dans le passé, les honoraires ne constituaient-ils pas une forme de paradoxe pour une profession qui brandissait la notion de désintéressement ? Et si le droit de l’avocat d’être honoré a été reconnu de tout temps, il a été très longtemps accompagné d’une série d’entraves qui n’étaient en fait que la survivance de l’idée ancienne suivant laquelle le client exprimait spontanément sa reconnaissance pour les services qui lui avaient été rendus.
Il est loin le temps où un avocat à la cour d’appel de Paris s’est vu infliger une sanction majeure pour avoir agi judiciairement en récupération d’une créance d’honoraires. Il n’y a pas si longtemps, par contre, que subsistaient une série de règles limitant le droit de recouvrer les honoraires : autorisation préalable du bâtonnier, interdiction de réclamer des intérêts sur le principal dû, interdiction de pratiquer une saisie à charge du client, etc…
Aujourd’hui, la créance d’honoraires est une créance comme les autres, qui peut faire l’objet d’une mise en demeure et d’une action en justice ; l’intervention du bâtonnier – par ailleurs souvent demandée et efficace – étant facultative ; de même, le client et l’avocat sont libres, en cas de contestation d’aller à l’arbitrage ou de s’en remettre à tout mode alternatif des litiges organisés par les Ordres dans l’intérêt de chacun, suivant diverses modalités.
L’avocat qui réclame des honoraires à son client est un justiciable comme un autre, n’ayant pas plus ni moins de droit que tout autre créancier, étant entendu qu’en raison des devoirs de la profession il doit agir avec modération (mais un créancier qui agit de façon inconsidérée peut aussi se voir reprocher des procédures abusives) et dans le strict respect du secret professionnel qui, dans certains cas, l’empêche de se servir des confidences qui lui ont été faites pour mettre la main sur des actifs dont l’existence lui aurait ainsi été révélée.
II. LE DROIT EUROPÉEN
2.1. Le Code CCBE
Le Code de déontologie des avocats de la Communauté européenne, qui a été adopté à Strasbourg le 28 octobre 1988 dans sa version initiale, ne règle que les activités transfrontalières des avocats ressortissants de l’Union européenne et de l’Espace économique européen. Il est néanmoins une source d’inspiration importante pour tous les avocats et barreaux européens, et il est intéressant d’avoir à l’esprit les dispositions de son chapitre III, relatif aux rapports avec les clients, qui règle la matière des honoraires.
Ces dispositions n’ont pas été modifiées dans la deuxième version du Code, adoptée à Lyon, le 28 novembre 1998.
Quatre articles sont le siège de la matière : l’article 3.3. concerne le pacte de quota litis, l’article 3.4., la détermination des honoraires, l’article 3.5., les provisions, et l’article 3.6., le partage des honoraires avec une personne qui n’est pas avocat .
Le Code CCBE porte (art. 3.4.1.2.) que « l’avocat doit informer son client de tout ce qu’il demande à titre d’honoraires et le montant de ses honoraires doit être équitable et justifié ».L’article 3.4.2.1. renvoie pour le reste aux règles du barreau dont dépend l’avocat.
Quant à la provision (art.3.5.), elle « ne doit pas aller au-delà d’une estimation raisonnable des honoraires et débours probables entraînés par l’affaire », le défaut de paiement de la provision permettant à l’avocat de renoncer à s’occuper d’une affaire ou de s’en retirer, sous réserve d’assurer que son client pourra trouver l’assistance d’un confrère en temps utile pour éviter qu’il subisse un préjudice.
On le voit, il n’y a dans ces articles rien qui ne soit conforme à une pratique communément répandue, et en tout cas en Belgique. Il est cependant intéressant de relever que le premier principe retenu est celui de l’information du client, ce qui est assurément une manière plus moderne d’aborder les choses que ne le fait l’article 459 du Code judiciaire que nous évoquerons ci-après. Quant à la notion d’équité, qui doit présider à la fixation des honoraires, on la retrouve, en termes plus anciens, dans le même article 459 .
2.2. La prohibition du pacte de quota litis
« L’avocat ne peut pas fixer ses honoraires sur la base d’un pacte de quota litis » (art. 3.3.1.). La définition de ce pacte nous est donnée dans le même article :
« 3.3.2. Le pacte de quota litis est une convention passée entre l’avocat et son client avant la conclusion définitive d’une affaire intéressant ce client, par laquelle le client s’engage à verser à l’avocat ne part du résultat de l’affaire, que celle-ci consiste en une somme d’argent ou en tout autre bien ou valeur.
« 3.3.3. Ne constitue pas un tel pacte la convention qui prévoit la détermination de l’honoraire en fonction de la valeur du litige dont est chargé l’avocat si celle-ci est conforme à un tarif officiel ou si elle est admise par l’autorité compétente dont dépend l’avocat. »
Le commentaire du Code CCBE consacré à l’article 3.3. reflète bien l’ambiguïté et les limites de la traditionnelle prohibition du pacte de quota litis : « Cet article est le reflet d’une situation commune à tous les Etats membres : une convention non soumise à réglementation d’honoraires proportionnels (pacte de quota lits) est contraire à une bonne administration de la justice parce qu’elle encourage la spéculation et peut donner lieu à des abus. Cependant, ces dispositions ne tendent pas à interdire le maintien ou l’introduction d’accords en vertu desquels les honoraires sont fonction du résultat de l’affaire ou sont subordonnés au succès de l’affaire, pourvu que de tels accords soient soumis à une réglementation ou à un contrôle assurant la protection du client et la bonne administration de la justice.»
Que retenir de tout ceci ? Qu’il existe sur ce point, entre les Etats-Unis et l’Europe une différence fondamentale, dans la mesure où la prohibition de ce type de pacte n’existe pas aux Etats-Unis. Ceci n’implique pas que ce mode de fixation des honoraires y soit généralement pratiqué (il est réservé à certaines matières, comme les actions en indemnisation et pratiqué par certains cabinets d’avocats), voire admis (il fait l’objet de nombreuses critiques par une partie de la doctrine).
Mais lors, si le Code CCBE, en énonçant la prohibition de ce type de pacte, par d’un constat commun à toute l’Europe, pourquoi ces réserves prudentes qui renvoient aux règles locales ?
La réponse se trouve pour une bonne part chez les solicitors d’Angleterre et du Pays de Galles. Ceux-ci pratiquent depuis quelques années une distinction subtile entre les honoraires éventuels (contingency fees) et les honoraires conditionnels (conditional fees). L’honoraire éventuel, selon le modèle américain, implique un arrangement par lequel l’avocat prend directement à sa charge les frais de l’action en justice en convenant avec le client que son honoraire sera fixé sur la base d’un pourcentage – souvent important – des montants récupérés. Cette pratique reste prohibée. Par contre, l’honoraire conditionnel suppose un accord suivant lequel l’avocat accepte de ne fixer aucun honoraire si l’affaire est perdue, mais réclamera un honoraire accru si l’affaire est gagnée,, l’accroissement étant calculé par référence à ce qu’aurait été l’honoraire normal et non par rapport à ce qui a été récupéré. Ces honoraires conditionnels, qui permettent éventuellement de doubler les honoraires, ont été autorisés en Angleterre et au Pays de Galles pour certains types de dossiers , depuis 1995 .
En Belgique, on définit le pacte de quota litis comme étant celui qui fait entièrement dépendre le droit aux honoraires du résultat obtenu ; si le travail de l’avocat est normalement honoré en cas d’échec, rien n’interdit qu’un supplément d’honoraires soit convenu en fonction d’un résultat positif. La suppression de la prohibition de ce pacte n’est pas à l’ordre du jour, car il est communément admis qu’il n’est pas normal que ce soit l’avocat qui finance la procédure de son client, sans compter les risques accrus pour son indépendance et son désintéressement. Enfin, il faut le rappeler, la prohibition du pacte de quota litis, est légale : « Tout pacte sur les honoraires liés au résultat de la contestation (…) est interdit » (art. 459, alinéa 1, in fine).