
La réforme du droit locatif entrée en vigueur le 1er janvier 2025 bouleverse profondément le cadre juridique du bail verbal en France. Cette transformation majeure modifie substantiellement les obligations des parties et renforce la protection des locataires tout en clarifiant les droits des propriétaires. Face à ces changements législatifs, locataires comme bailleurs doivent maîtriser ces nouvelles dispositions pour éviter les litiges coûteux. Ces modifications s’inscrivent dans une volonté du législateur de sécuriser les relations locatives informelles qui concernent plus de 15% des locations résidentielles en France, soit environ 2,3 millions de logements selon les dernières statistiques du Ministère du Logement.
La redéfinition juridique du bail verbal et sa reconnaissance légale
La loi n°2024-187 du 15 novembre 2024 propose désormais une définition précise du bail verbal. Contrairement à l’ancien cadre juridique où le contrat oral restait dans une zone grise, le texte affirme désormais que « tout accord, même non écrit, portant sur la mise à disposition d’un local à usage d’habitation contre rémunération constitue un bail verbal juridiquement contraignant ». Cette reconnaissance explicite marque une rupture avec la jurisprudence antérieure qui exigeait souvent des preuves complexes pour établir l’existence même du contrat.
Le formalisme allégé ne signifie pas absence de règles. Le législateur a prévu un mécanisme novateur : la présomption d’application du bail type. En l’absence d’écrit, les dispositions du contrat type défini par décret s’appliquent automatiquement, créant ainsi un socle minimal de droits et d’obligations. Cette innovation juridique répond aux critiques formulées par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 mai 2023 qui pointait l’insécurité juridique des baux verbaux.
La charge de la preuve connaît un renversement significatif. Désormais, c’est au propriétaire de prouver que certaines clauses dérogatoires au bail type ont été convenues, et non plus au locataire de démontrer l’existence même du contrat. Cette inversion du fardeau probatoire constitue une protection majeure pour les locataires souvent démunis face à l’absence de document écrit.
La durée du bail verbal fait l’objet d’une présomption légale. Sans mention contraire prouvée par le bailleur, le bail est réputé conclu pour trois ans (logement vide) ou un an (logement meublé). Cette stabilisation de la durée locative apporte une sécurité temporelle aux occupants qui ne peuvent plus être expulsés sur simple décision unilatérale du propriétaire invoquant l’absence de terme défini.
Le nouveau régime probatoire : établir l’existence et les conditions du bail verbal
La réforme de 2025 modifie radicalement les mécanismes probatoires applicables aux contrats de location verbaux. Le législateur a entendu faciliter la preuve de l’existence du bail en diversifiant les moyens acceptables. La jurisprudence restrictive issue de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 janvier 2022 est désormais écartée au profit d’un régime plus souple.
L’article L.632-1-1 nouveau du Code de la construction et de l’habitation établit une liste non exhaustive des éléments probants recevables :
- Virements bancaires réguliers même sans mention explicite de loyer
- Témoignages de tiers (voisins, facteur, services sociaux)
- Courriers électroniques ou messages échangés sur applications de messagerie
- Factures de services (électricité, eau, internet) établies au nom de l’occupant
Cette diversification des preuves admissibles s’accompagne d’une présomption d’occupation légitime après trois mois de résidence effective et de paiement d’une contrepartie financière. Le tribunal peut désormais reconnaître l’existence d’un bail verbal sur la base d’un faisceau d’indices concordants, sans exiger de preuve formelle comme l’imposait auparavant la jurisprudence.
En matière de montant du loyer, la réforme introduit un mécanisme correctif innovant. En cas de contestation et d’impossibilité de prouver le montant convenu, le juge peut désormais fixer le loyer par référence aux loyers pratiqués dans le voisinage pour des logements comparables. Cette disposition s’inspire du système allemand où le « Mietspiegel » (miroir des loyers) sert de référence objective.
Le décret n°2024-892 du 3 décembre 2024 a institué une procédure simplifiée de constatation du bail verbal devant la Commission départementale de conciliation. Cette instance peut désormais délivrer une attestation de relation locative qui constitue un commencement de preuve par écrit au sens de l’article 1362 du Code civil. Cette procédure non contentieuse représente une avancée majeure pour les locataires précaires qui peuvent ainsi obtenir une reconnaissance officielle de leur statut sans engager d’emblée une procédure judiciaire coûteuse.
Les obligations renforcées des propriétaires dans le cadre d’un bail verbal
La réforme impose aux bailleurs une obligation d’information sans précédent dans le cadre des locations verbales. Désormais, même en l’absence d’écrit, le propriétaire doit communiquer au locataire un document récapitulatif contenant les informations essentielles relatives au logement dans les 15 jours suivant l’entrée dans les lieux. Cette obligation, sanctionnée par une amende administrative pouvant atteindre 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale, vise à réduire l’asymétrie informationnelle caractéristique des baux verbaux.
Le devoir de délivrance d’un logement décent connaît un renforcement significatif. L’article L.632-1-2 nouveau prévoit qu’en cas de bail verbal, le locataire peut exiger à tout moment la réalisation d’un diagnostic technique complet aux frais du bailleur. Cette disposition révolutionnaire inverse la charge de la preuve traditionnelle et place le propriétaire dans l’obligation de démontrer la conformité du logement aux normes de décence.
La question des réparations locatives trouve enfin une réponse claire. Le décret n°2024-893 établit une liste limitative des réparations pouvant être mises à la charge du locataire dans le cadre d’un bail verbal. Pour toute réparation ne figurant pas dans cette liste, le propriétaire ne peut en répercuter le coût sur le locataire qu’en démontrant un accord explicite préalable. Cette clarification met fin à des pratiques abusives où des propriétaires imposaient aux locataires verbaux des charges de réparation normalement incombant au bailleur.
L’encadrement de la révision du loyer constitue une autre innovation majeure. En l’absence de clause écrite, la révision annuelle est plafonnée à l’Indice de Référence des Loyers (IRL) et ne peut intervenir qu’à la date anniversaire de l’entrée dans les lieux. Le bailleur doit notifier cette révision par écrit au moins un mois à l’avance, faute de quoi elle ne peut prendre effet. Cette formalisation obligatoire dans un contexte de bail verbal illustre la volonté du législateur d’encadrer strictement les pratiques jusqu’alors largement discrétionnaires.
Les protections spécifiques accordées aux locataires sous bail verbal
La réforme de 2025 instaure un droit à la régularisation qui constitue une innovation majeure dans le paysage juridique français. Tout locataire sous bail verbal peut désormais exiger, à tout moment, la formalisation écrite du contrat sans modification des conditions essentielles de la location. Le refus du propriétaire ouvre droit à une action en justice avec une procédure accélérée devant le juge des contentieux de la protection qui peut ordonner, sous astreinte, l’établissement d’un contrat écrit.
La protection contre les congés abusifs se trouve considérablement renforcée. L’article L.632-1-3 nouveau du Code de la construction et de l’habitation prévoit qu’un congé délivré dans le cadre d’un bail verbal doit, à peine de nullité, être notifié par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier. Le délai de préavis minimal est fixé à six mois pour le bailleur, contre trois mois dans le droit commun, créant ainsi une protection temporelle supplémentaire pour les locataires verbaux.
Les dépôts de garantie font l’objet d’un encadrement strict. En l’absence de stipulation écrite, le montant du dépôt est présumé ne pas excéder un mois de loyer pour un logement vide et deux mois pour un meublé. Toute somme versée au-delà est présumée constituer un trop-perçu remboursable immédiatement au locataire, avec application automatique d’une majoration de 10% par mois de retard.
La question épineuse des travaux d’amélioration réalisés par le locataire trouve enfin une solution équilibrée. La loi reconnaît désormais explicitement le droit à indemnisation pour les améliorations apportées au logement avec l’accord, même verbal, du propriétaire. Le montant de cette indemnité est calculé selon une formule tenant compte de la plus-value apportée au bien et de la durée d’occupation restante. Cette reconnaissance légale met fin à une jurisprudence fluctuante qui laissait souvent les locataires sous bail verbal sans recours après avoir investi dans l’amélioration d’un logement.
Le cadre juridictionnel remanié : résoudre les litiges dans un contexte d’oralité
La réforme institue une juridiction spécialisée pour traiter les contentieux liés aux baux verbaux. Le juge des contentieux de la protection se voit attribuer une compétence exclusive, quelle que soit la valeur du litige, dérogeant ainsi aux règles habituelles de compétence matérielle. Cette centralisation vise à développer une expertise judiciaire spécifique face à ces situations complexes où la preuve est essentiellement testimoniale ou indiciaire.
Une procédure simplifiée a été mise en place pour faciliter l’accès au juge. Le décret n°2024-894 prévoit un formulaire CERFA unique permettant de saisir directement la juridiction sans ministère d’avocat obligatoire. Ce formulaire, disponible en ligne et dans les maisons de justice et du droit, peut être complété avec l’assistance d’un agent d’accueil formé spécifiquement aux problématiques des baux verbaux. Cette dématérialisation et cette simplification procédurale représentent une avancée considérable pour les locataires souvent réticents à engager des procédures judiciaires complexes.
L’aide juridictionnelle connaît un élargissement significatif pour les litiges relatifs aux baux verbaux. Le plafond de ressources pour bénéficier de l’aide totale est relevé de 20% dans ce contentieux spécifique, et la condition de résidence régulière sur le territoire français est assouplie. Cette adaptation du régime de l’aide juridictionnelle traduit la volonté du législateur de garantir un accès effectif au juge pour les populations les plus vulnérables, souvent concernées par les locations verbales.
Les modes alternatifs de résolution des conflits sont fortement encouragés. La médiation devient un préalable obligatoire avant toute saisine du juge, sauf urgence caractérisée ou risque d’atteinte au droit au logement. Les médiateurs du logement, dont le statut est renforcé par la loi, bénéficient d’une formation spécifique aux problématiques des baux verbaux. Cette institutionnalisation de la médiation s’accompagne d’un financement public garantissant la gratuité du processus pour les parties, levant ainsi un obstacle financier majeur à la résolution amiable des différends.
L’adaptation nécessaire des pratiques face à cette métamorphose juridique
La transition vers ce nouveau régime juridique impose aux professionnels immobiliers une révision complète de leurs pratiques. Les agents immobiliers et administrateurs de biens doivent désormais mettre en garde explicitement leurs clients contre les risques liés aux locations verbales. La responsabilité professionnelle peut être engagée en cas de conseil inapproprié favorisant le recours au bail oral. Les organismes professionnels comme la FNAIM et l’UNIS ont d’ailleurs publié des guides de bonnes pratiques recommandant systématiquement la formalisation écrite des relations locatives.
Pour les propriétaires particuliers, l’adaptation passe par une formalisation minimale. À défaut de contrat complet, il devient indispensable de constituer un dossier probatoire comportant au minimum des échanges écrits sur les conditions essentielles de la location (montant du loyer, date d’entrée, description sommaire du bien). Cette pratique de « bail verbal documenté » émerge comme une solution intermédiaire permettant de conserver la souplesse recherchée tout en réduisant les risques juridiques.
Les associations de locataires développent de nouveaux services d’accompagnement. Des permanences juridiques spécialisées dans les baux verbaux se multiplient, proposant notamment des « kits de sécurisation » permettant aux locataires de constituer progressivement des preuves de leur occupation (modèles de courriers, conseils pour la conservation des documents, applications mobiles de traçabilité des paiements). Ces initiatives associatives comblent partiellement le vide laissé par l’absence de formalisme contractuel.
L’émergence de solutions technologiques constitue une réponse pragmatique aux défis probatoires. Plusieurs startups juridiques ont développé des applications permettant d’enregistrer des accords oraux, de géolocaliser les échanges de consentement, ou de constituer des preuves horodatées d’occupation. Ces innovations, à la frontière entre la location verbale traditionnelle et le contrat électronique, dessinent probablement l’avenir du bail verbal dans une société numérisée. Le Conseil National de la Transaction et de la Gestion Immobilières a d’ailleurs publié en février 2025 des recommandations sur ces nouveaux outils, reconnaissant leur utilité tout en appelant à une vigilance sur la protection des données personnelles.