L’évolution du droit de l’urbanisme en 2024 : décryptage des nouvelles dispositions réglementaires

Le droit de l’urbanisme français connaît une mutation profonde en 2024, portée par les défis environnementaux et sociétaux contemporains. La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 continue de déployer ses effets avec l’entrée en vigueur de nombreux décrets d’application. Le principe du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) bouleverse les pratiques d’aménagement, tandis que la rénovation énergétique devient une priorité nationale. Ces transformations s’accompagnent d’une refonte des procédures administratives et d’un renforcement des sanctions. Ce cadre juridique renouvelé modifie substantiellement les rapports entre propriétaires, collectivités et promoteurs, redessinant les contours de l’urbanisme français pour les décennies à venir.

La concrétisation juridique du Zéro Artificialisation Nette

La loi Climat et Résilience a introduit l’objectif ambitieux d’atteindre le Zéro Artificialisation Nette d’ici 2050. Le décret n°2023-968 du 13 octobre 2023 précise désormais les modalités d’application de cette disposition phare. Il définit avec précision la notion d’artificialisation des sols comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, notamment de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique ».

Cette définition s’accompagne d’une nomenclature détaillée classant les sols en fonction de leur degré d’artificialisation. Le décret fixe des objectifs chiffrés de réduction du rythme d’artificialisation : -50% d’ici 2031 par rapport à la période 2011-2021, puis une trajectoire progressive jusqu’à atteindre le ZAN en 2050. Les Schémas Régionaux d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET) doivent désormais intégrer ces objectifs et les territorialiser.

Les collectivités locales font face à un calendrier contraignant. Les régions ont jusqu’au 22 février 2024 pour modifier leurs SRADDET. Les SCoT (Schémas de Cohérence Territoriale) devront être mis en conformité dans un délai de 5 ans, et les PLU (Plans Locaux d’Urbanisme) dans les 6 ans. Cette cascade normative génère des tensions entre l’État et les collectivités, notamment rurales, qui craignent un frein à leur développement.

Le décret n°2023-1346 du 18 décembre 2023 vient compléter ce dispositif en instaurant un système de comptabilisation des surfaces artificialisées. Chaque commune devra établir un inventaire précis de ses sols et rendre compte annuellement de l’évolution de l’artificialisation sur son territoire. Cette obligation s’accompagne de la création d’un observatoire national qui centralisera ces données et publiera un rapport quinquennal.

Ces nouvelles dispositions bouleversent la pratique de l’urbanisme opérationnel. Les promoteurs et aménageurs doivent désormais prouver l’impossibilité de réaliser leurs projets sur des friches urbaines avant d’envisager l’artificialisation de nouveaux espaces. Cette exigence se traduit par un renforcement considérable des études préalables et une hausse des coûts de développement des projets immobiliers.

Rénovation énergétique et performance environnementale du bâti

L’entrée en vigueur au 1er janvier 2024 du décret n°2023-1089 marque un tournant dans la politique de rénovation énergétique des bâtiments. Ce texte renforce les dispositions de la loi Climat et Résilience en interdisant la mise en location des logements classés G+ (consommation énergétique supérieure à 450 kWh/m²/an). Cette interdiction s’étendra progressivement aux autres logements énergivores : classe G en 2025, classe F en 2028 et classe E en 2034.

Le décret n°2023-1290 du 29 décembre 2023 précise les critères du logement décent en y intégrant formellement la performance énergétique. Un logement dont la consommation d’énergie excède les seuils définis est désormais considéré comme indécent, ouvrant la voie à des recours locatifs. Cette évolution juridique transforme profondément le marché immobilier, avec une décote significative des biens énergivores et une pression accrue sur les propriétaires bailleurs.

L’arrêté ministériel du 23 novembre 2023 relatif au Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) modifie la méthodologie de calcul pour les bâtiments construits avant 1975. Cette révision fait suite aux critiques concernant les résultats jugés trop sévères du DPE réformé en 2021. Environ 140 000 logements devraient voir leur classement énergétique amélioré, facilitant ainsi leur maintien sur le marché locatif.

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Du côté des constructions neuves, la RE2020 (Réglementation Environnementale 2020) poursuit son déploiement avec des exigences renforcées depuis le 1er janvier 2024. Le seuil d’émission de gaz à effet de serre des constructions neuves est abaissé de 15% par rapport à 2022. Cette évolution accélère la transition vers des modes constructifs bas-carbone et des matériaux biosourcés. Le décret n°2023-1456 du 22 décembre 2023 précise les modalités de calcul de l’empreinte carbone des constructions et introduit de nouvelles obligations documentaires pour les maîtres d’ouvrage.

Ces dispositions s’accompagnent d’un renforcement des aides à la rénovation, avec la refonte du dispositif MaPrimeRénov’. L’arrêté du 28 décembre 2023 instaure un nouveau barème plus incitatif pour les rénovations d’ampleur permettant un gain énergétique d’au moins deux classes. Cette évolution marque un changement de paradigme, privilégiant les rénovations globales aux interventions ponctuelles jugées moins efficientes sur le long terme.

Mesures d’accompagnement et contrôles

Le législateur a prévu un arsenal de mesures pour accompagner cette transition. Le carnet d’information du logement, obligatoire depuis le 1er janvier 2023 pour les constructions neuves et depuis le 1er juillet 2023 pour les rénovations importantes, voit son contenu précisé par le décret n°2023-1335. Ce document doit retracer l’ensemble des informations relatives à la performance énergétique du logement et aux travaux réalisés.

Refonte des procédures d’autorisation d’urbanisme

Le décret n°2023-1040 du 8 novembre 2023 constitue une réforme majeure des procédures d’autorisation d’urbanisme. Il poursuit la dématérialisation engagée depuis 2022 en rendant obligatoire, à partir du 1er janvier 2024, le dépôt électronique des demandes pour les communes de plus de 3 500 habitants. Cette évolution s’accompagne d’une refonte du formulaire CERFA et d’une simplification du dossier à fournir.

Le décret introduit une procédure accélérée pour certains projets d’intérêt général, notamment ceux contribuant à la transition écologique ou à la production de logements sociaux. Ces projets bénéficient désormais d’un délai d’instruction réduit à un mois pour les déclarations préalables et deux mois pour les permis de construire. Cette accélération s’accompagne d’un encadrement plus strict du droit de retrait de l’administration, limité à trois mois après la délivrance de l’autorisation.

La participation du public aux décisions d’urbanisme connaît également une évolution significative. L’ordonnance n°2023-1217 du 20 décembre 2023 modifie les modalités de l’enquête publique en privilégiant la voie électronique. Cette dématérialisation vise à élargir la participation citoyenne tout en réduisant les délais de procédure. Toutefois, elle soulève des questions d’accessibilité pour les publics éloignés du numérique.

Le contentieux de l’urbanisme poursuit sa rationalisation avec le décret n°2023-1455 du 22 décembre 2023. Ce texte renforce les pouvoirs du juge administratif en matière de régularisation des autorisations d’urbanisme. Il peut désormais surseoir à statuer pour permettre au bénéficiaire de l’autorisation de régulariser un vice de forme ou de procédure, même en l’absence de demande en ce sens. Cette évolution s’inscrit dans une tendance de fond visant à limiter les annulations contentieuses.

  • Réduction des délais d’instruction pour certains projets prioritaires
  • Dématérialisation obligatoire des demandes dans les communes de plus de 3 500 habitants
  • Renforcement des pouvoirs du juge administratif en matière de régularisation

Le certificat d’urbanisme connaît une revalorisation avec l’arrêté du 15 novembre 2023. Sa durée de validité est portée de 18 à 24 mois, offrant une sécurité juridique accrue aux porteurs de projet. Par ailleurs, son contenu est enrichi d’informations relatives aux risques naturels et technologiques, ainsi qu’aux servitudes d’utilité publique applicables au terrain.

Ces évolutions procédurales s’accompagnent d’un renforcement des sanctions pénales en cas d’infraction au code de l’urbanisme. Le décret n°2023-1217 du 20 décembre 2023 double le montant des amendes applicables aux constructions sans autorisation ou non conformes. Cette sévérité accrue vise particulièrement les atteintes aux espaces protégés et les constructions en zone à risque.

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Urbanisme commercial et revitalisation des centres-villes

La lutte contre la vacance commerciale dans les centres-villes s’intensifie avec le décret n°2023-1322 du 15 décembre 2023. Ce texte donne aux communes la possibilité d’instaurer une taxe sur les locaux commerciaux vacants depuis plus de deux ans. Le taux de cette taxe, modulable entre 10% et 30% de la valeur locative, constitue un levier puissant pour inciter les propriétaires à remettre leurs biens sur le marché.

Le dispositif Action Cœur de Ville entre dans une nouvelle phase avec la publication de la circulaire du 3 novembre 2023. Ce programme gouvernemental, qui concerne 222 villes moyennes, voit son financement renforcé pour la période 2023-2026. La circulaire précise les priorités d’intervention, notamment la réhabilitation de l’habitat ancien, la rénovation des friches commerciales et l’adaptation des centres-villes au changement climatique.

L’urbanisme commercial connaît une refonte majeure avec l’ordonnance n°2023-1098 du 29 novembre 2023. Ce texte supprime l’autorisation d’exploitation commerciale (AEC) comme procédure autonome et l’intègre pleinement dans le permis de construire. Cette simplification s’accompagne d’un renforcement des critères environnementaux dans l’évaluation des projets commerciaux. La consommation d’espace, l’artificialisation des sols et l’impact carbone deviennent des éléments déterminants dans l’instruction des demandes.

Les Opérations de Revitalisation de Territoire (ORT) voient leur régime juridique précisé par le décret n°2023-1211 du 18 décembre 2023. Ce dispositif, créé par la loi ELAN, permet aux collectivités de bénéficier d’outils juridiques et fiscaux renforcés pour redynamiser leurs centres-villes. Le décret élargit le périmètre des ORT aux quartiers de gare et aux entrées de ville, reconnaissant leur rôle stratégique dans l’organisation urbaine.

La régulation des implantations logistiques fait l’objet d’une attention particulière avec la circulaire du 22 décembre 2023. Ce texte invite les préfets à utiliser leur pouvoir de contrôle de légalité pour limiter le développement anarchique des entrepôts, particulièrement consommateurs d’espace. La circulaire recommande d’orienter ces activités vers la reconversion de friches industrielles plutôt que vers l’artificialisation de nouveaux terrains.

Dispositifs fiscaux incitatifs

La loi de finances pour 2024 introduit plusieurs mesures fiscales favorables à la revitalisation urbaine. Le dispositif Denormandie, qui offre une réduction d’impôt pour l’acquisition et la rénovation de logements anciens dans les centres-villes, est prorogé jusqu’au 31 décembre 2026. Son périmètre est élargi à l’ensemble des communes couvertes par une ORT, renforçant ainsi son impact potentiel.

Adaptation de l’urbanisme aux défis climatiques

Le Plan de Prévention des Risques Naturels (PPRN) connaît une modernisation substantielle avec le décret n°2023-1304 du 28 décembre 2023. Ce texte renforce la prise en compte du changement climatique dans l’élaboration des PPRN, notamment pour les risques d’inondation et de submersion marine. Les modélisations doivent désormais intégrer des scénarios climatiques à l’horizon 2050, conduisant à une extension des zones inconstructibles ou soumises à prescriptions.

La gestion des eaux pluviales devient une composante essentielle de l’urbanisme avec l’arrêté du 15 novembre 2023. Ce texte impose des normes strictes de perméabilité pour les nouvelles constructions et aménagements. Toute surface imperméabilisée doit être compensée par des dispositifs permettant l’infiltration ou la rétention des eaux pluviales. Cette exigence transforme profondément la conception des espaces publics et privés.

L’ordonnance n°2023-1199 du 20 décembre 2023 renforce les obligations en matière de végétalisation urbaine. Elle impose aux communes de plus de 20 000 habitants d’élaborer un « Plan Canopée » visant à augmenter significativement la couverture arborée. Les PLU devront désormais comporter un coefficient de biotope, fixant une part minimale de surfaces non imperméabilisées ou éco-aménageables pour chaque projet de construction.

Le recul du trait de côte fait l’objet d’une attention particulière avec le décret n°2023-1234 du 14 décembre 2023. Ce texte précise les modalités d’application de la loi Climat et Résilience pour les communes littorales confrontées à l’érosion. Il définit les conditions de mise en œuvre du droit de préemption spécifique et du nouveau bail réel d’adaptation à l’érosion côtière (BRAEC). Ce dispositif innovant permet aux propriétaires de conserver l’usage de leur bien pendant une durée déterminée, avant sa démolition programmée.

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La lutte contre les îlots de chaleur urbains s’intensifie avec la circulaire du 5 décembre 2023. Ce texte recommande aux préfets d’utiliser leur pouvoir de dérogation aux règles d’urbanisme pour faciliter l’installation de protections solaires et la végétalisation des façades et toitures. Cette approche pragmatique permet d’accélérer l’adaptation du bâti existant sans attendre la révision des documents d’urbanisme.

Outils opérationnels

  • Création d’un fonds national d’adaptation au changement climatique doté de 500 millions d’euros pour 2024-2026
  • Élaboration d’un référentiel national de résilience urbaine définissant des indicateurs de performance
  • Mise en place d’un réseau de 50 « villes-pilotes » expérimentant des solutions innovantes d’adaptation

L’intégration des énergies renouvelables dans l’urbanisme connaît une avancée majeure avec le décret n°2023-1253 du 27 décembre 2023. Ce texte définit les « zones d’accélération des énergies renouvelables » introduites par la loi du 10 mars 2023. Les communes doivent identifier sur leur territoire des secteurs propices au développement de ces énergies, bénéficiant ensuite de procédures d’autorisation simplifiées et de tarifs de rachat bonifiés.

Les transformations silencieuses du droit foncier

La refonte du droit de préemption urbain constitue l’une des évolutions majeures de l’année 2024. Le décret n°2023-1367 du 21 décembre 2023 élargit considérablement le champ d’application de ce droit. Les communes peuvent désormais préempter des biens pour créer des espaces naturels accessibles au public ou pour préserver la biodiversité. Cette extension transforme le droit de préemption en véritable outil de politique environnementale.

Le régime des Zones d’Aménagement Différé (ZAD) connaît une modernisation avec le décret n°2023-1390 du 30 décembre 2023. La durée maximale des ZAD est portée de 6 à 10 ans, offrant aux collectivités une visibilité accrue pour leurs projets d’aménagement à long terme. Par ailleurs, la création d’une ZAD peut désormais être motivée par des objectifs de renaturation ou de lutte contre l’artificialisation des sols.

L’ordonnance n°2023-1208 du 20 décembre 2023 introduit un nouvel outil juridique : le bail réel de renaturation. Ce contrat permet à un propriétaire de confier son terrain à un tiers (collectivité, association environnementale) pour y mener des actions de restauration écologique. D’une durée minimale de 18 ans, ce bail offre une sécurité juridique aux projets de renaturation tout en préservant les droits du propriétaire.

La valorisation du foncier public fait l’objet d’une attention particulière avec la circulaire du 8 décembre 2023. Ce texte fixe un objectif ambitieux de mobilisation des terrains appartenant à l’État et à ses établissements publics pour la construction de logements sociaux et la création d’espaces naturels. La circulaire introduit une décote pouvant atteindre 100% pour les terrains destinés à des projets de renaturation.

Le droit de l’expropriation connaît une évolution significative avec l’arrêt du Conseil d’État du 15 novembre 2023 (n°466174). Cette décision précise que l’utilité publique d’une expropriation peut désormais être fondée sur des motifs exclusivement environnementaux, comme la création d’une zone humide ou la restauration d’un corridor écologique. Cette jurisprudence consacre l’émergence d’une nouvelle conception de l’utilité publique, détachée des projets d’aménagement traditionnels.

Fiscalité foncière et environnement

La loi de finances pour 2024 introduit plusieurs innovations en matière de fiscalité foncière. Les communes peuvent désormais moduler la taxe foncière en fonction de critères environnementaux, avec une majoration possible pour les terrains constructibles laissés en friche et une exonération pour les parcelles faisant l’objet d’une gestion écologique certifiée. Cette évolution constitue une reconnaissance du rôle du levier fiscal dans la transition écologique.

Le financement de l’aménagement connaît également une refonte avec la création de la taxe d’aménagement différenciée, introduite par le décret n°2023-1397 du 31 décembre 2023. Ce dispositif permet aux communes de moduler le taux de la taxe en fonction de la localisation des projets, favorisant ainsi la densification des zones déjà urbanisées par rapport aux extensions urbaines consommatrices d’espace.

Ces transformations du droit foncier, moins médiatisées que d’autres évolutions du droit de l’urbanisme, n’en constituent pas moins une révolution silencieuse. Elles consacrent l’émergence d’une nouvelle conception de la propriété foncière, davantage orientée vers sa fonction écologique et sociale que vers sa seule dimension économique. Cette évolution reflète une prise de conscience collective des enjeux environnementaux et de la nécessité de repenser notre rapport au sol.