Les professions juridiques – et la profession d’avocat en particulier – ont un rôle essentiel dans la construction de la Communauté économique européenne instituée par le Traité de Rome de 1957. La Communauté a été renforcée notamment par l’Acte Unique, en 1986, prévoyant la suppression des frontières inter étatiques au sein d’un marché unique intérieur. Celui-ci est réalisé depuis le 1er janvier 1993. Le Traité d’Amsterdam de 1991 a donné à l’ensemble une première dimension politique.
Cette construction est d’ordre juridique : l’Union européenne est fondée sur les traités ; elle est structurée par des institutions permanentes : Commission, Conseil des Ministres, Parlement, Cour de Justice dont les compétences et le fonctionnement sont déterminés par des lois ; les citoyens, les entreprises et les autorités publiques des Etats membres sont régis par le droit communautaire qui s’intègre aux droits nationaux pour former, dans le domaine de la vie économique et sociale du marché unique, un corpus juridique commun.
L’expression « Communauté de droit » était utilisée déjà en 1986 par la Cour de Justice ( ) si bien que, comme l’écrit J. Pertek, » l’Union européenne, après la révision d’Amsterdam, peut être qualifiée d’Union de droit » ( ).
Dans cet espace juridique – qui n’est pas limité aux 15 Etats de l’Union, mais s’étend aux trois autres pays faisant partie de l’Espace Economique Européen, (la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein) l’avocat participe directement à l’élaboration du droit communautaire. Il applique les dispositions des Traités européens et du droit dérivé (règlements et directives) aux transactions et entreprises transnationales en exerçant son activité de conseil et de rédacteur d’actes, et comme acteur judiciaire dans la formation de la jurisprudence européenne – que ce soit devant les Cours et tribunaux nationaux, juges communautaires de droit commun ( ), ou devant la Cour de Justice de Luxembourg, sur recours préjudiciel, en formulant devant le juge national les questions à poser, ou sur recours direct.
Les avocats bénéficient, pour les recours préjudiciels, de l’exclusivité de représentation, dans la mesure où cette exclusivité leur est reconnue devant la juridiction nationale, auteur du renvoi. Dans le contentieux direct, la représentation par avocat devant la Cour de Luxembourg est obligatoire, sauf pour les Etats et les institutions.
LA PLACE DE L’AVOCAT BELGE – BREF HISTORIQUE
Les avocats belges ne se sont pas fait faute de prendre leur part de cette activité. La proximité du siège des institutions européennes n’est sans doute pas étrangère au développement, surtout dans les cabinets bruxellois, d’une pratique du droit communautaire relativement précoce et relativement étendue par rapport aux avocats d’autres pays.
Mais c’est précisément aussi la présence de ces même institutions à Bruxelles qui en a fait le lieu naturel d’exercice et d’établissement d’activités juridiques en droit communautaire par des juristes, avocats et autres professionnels, provenant non seulement des Etats membres de l’Union, mais aussi de pays extérieurs à la Communauté.
Au centre du pays s’est donc développé un marché juridique mettant en compétition les avocats européens entre eux, mais aussi les avocats européens avec les avocats américains et ceux d’autres nations.
Il faut reconnaître que dans un premier temps le barreau belge a réagi frileusement à l’exercice du droit par des professionnels étrangers – même européens – . Il croyait sa chasse gardée grâce au monopole de la plaidoirie et aux « privilèges » que justifiaient ses responsabilités dans la société belge, notamment comme agent de l’administration de la justice.
Les premiers avocats non belges établis à Bruxelles, dont les américains, sous le bénéfice d’une clause spéciale du Traité de l’Atlantique Nord, en constituaient l’avant-garde, étaient regardés par les autorités de l’Ordre des avocats de Bruxelles comme des « agents d’affaires » infréquentables.
Cette réaction a fait long feu et ces temps de corporatisme étroit sont révolus, le repli sur soi étant inefficace dans un monde qui s’ouvre et une Europe qui construit précisément son marché unique sur base de quatre libertés fondamentales : la libre circulation des personnes, la libre circulation des marchandises, la libre circulation des capitaux et la libre circulation des services.
Le Conseil de l’Ordre du barreau de Bruxelles a modifié d’ailleurs sa politique à partir des années 1980 et a tiré les leçons de ce qu’un nombre toujours plus important d’avocats étrangers exerçaient leur profession à Bruxelles, sous forme de prestations occasionnelles de services ou avec établissement, principal ou secondaire, sous le titre belge ou sous le titre d’origine.
Cette évolution s’imposait d’autant plus que la libre prestation de services et le libre établissement des avocats ressortissants d’un pays membre de la Communauté Européenne étaient consacrés comme des droits dérivant directement du Traité de Rome depuis le 1er janvier 1970, fin de la période transitoire, même en l’absence des directives dont l’adoption était prévue par l’ancien article 54, § 2 et l’article 57, § 1er (devenu 47, § 1er) ( ). Les directives dont le Traité prévoit l’adoption ne conservaient pour rôle, selon la Cour de Justice, que de « favoriser l’exercice effectif du droit d’établissement » ou de la libre prestation de services.
La politique d’intégration progressive de ces avocats au barreau de Bruxelles a été définie par l’Ordre français des avocats en 1992 en fonction de cinq considérations fondamentales que je reproduis ici :
» – une politique d’ouverture et d’accueil, seule digne du Barreau de la principale capitale des institutions de la Communauté européenne et à quelques mois de l’entrée en vigueur du marché unique ;
– pareil choix appelle en retour de la part des barreaux étrangers et des avocats étrangers établis à Bruxelles ou désireux de le faire, un comportement loyal et une coopération confiante ;
– l’Ordre s’inspirera de trois objectifs essentiels : (i) la dignité et la qualité de la profession libérale d’avocat ; (ii) l’harmonisation progressive de certaines conditions de concurrence ; (iii) l’intérêt général et la protection du public ;
– l’Ordre déterminera en faveur des avocats étrangers une politique d’établissement aisé à Bruxelles, en tenant compte lorsqu’il y a lieu, d’une réciprocité raisonnable et en privilégiant la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux entre barreaux ;
– en règle, tout avocat étranger établi à Bruxelles doit demander son inscription au tableau de l’Ordre ou sur la liste spéciale des avocats établis sous leur titre d’origine. »
C’est ainsi qu’anticipant la transposition en droit belge des directives sur l’équivalence des diplômes et sur l’établissement des avocats, le barreau de Bruxelles a permis l’intégration en son sein des avocats ressortissants d’Etats membres après réussite d’un examen d’équivalence et a organisé l’inscription des avocats étrangers ressortissants d’Etats membres qui, établis à Bruxelles, la sollicitaient. Au 1er décembre 1999, on en dénombre au total 222 inscrits sur l’une des trois listes des membres des barreaux étrangers associés des deux Ordres d’avocats de Bruxelles, auxquels s’ajoutent 63 avocats provenant de pays tiers, dont 39 des Etats-Unis.
Il y en a évidemment un plus grand nombre établis et travaillant à Bruxelles qui devront désormais s’inscrire à leur tour.
Il n’en demeure pas moins que la frilosité protectionniste des années 1960-1970 a laissé des traces, tout d’abord en retardant l’évolution des règles nécessaires à une pratique internationale du droit, et plus particulièrement du droit européen, en collaboration et même en association avec des avocats d’autres pays membres de la Communauté, mais encore en freinant l’évolution des mentalités qui ne sont pas encore, à ce jour, toutes acquises aux effets inéluctables et irréversibles de l’internationalisation des services juridiques, aujourd’hui devenue « globale ».
L’avocat belge du 21e siècle doit s’inscrire dans ce mouvement non seulement en en acceptant toutes les conséquences mais encore en y adaptant sa pratique et son organisation. Il doit également pouvoir saisir les opportunités que ce mouvement ouvre pour le développement de ses activités.