Le Knowledge Management (KM) ou gestion des connaissances est un outil qui est en vogue depuis quelques années. Il n’a pas complètement reçu la reconnaissance qui devrait être la sienne chez les juristes professionnels.
La valorisation de son savoir est une donnée importante pour les professions intellectuelles. Les cabinets de conseils peuvent trouver dans une politique de KM un moyen d’optimalisation de leurs produits. Là où les hommes et les femmes qui pressent les conseils sont l’outil de production du cabinet ou du département, le savoir est le capital majeur de l’entreprise.
Il importe cependant de réaliser ce que représente concrètement le knowledge management.
Dans la conception qu’en ont les juristes, le KM est parfois synonyme de pratiques partagées (best practices), de savoir reproductible, de produits mis à jour, de connaissances mises en ligne,…
En fait pour définir clairement le KM, il faut s’appuyer sur le contexte particulier de la pratique juridique. Le droit, plus que toute autre industrie, a fait son entrée dans la société de l’information. Le droit c’est de l’information. Le droit c’est de l’information à profusion. En effet, l’inflation normative, la multiplication des producteurs de droit que sont les divers législateurs tant européens, nationaux ou régionaux, les décisions pléthoriques des cours et tribunaux font que la société est imbibée de normes. Le talent principal du juriste est de découvrir ou dégager de ces dédales la norme ou la jurisprudence utile et le cas échéant y apporter une valeur ajoutée.
Les éditeurs juridiques sont bien entendu présents pour organiser le droit et la production juridique.
On peut définir le knowledge management comme un système permettant de débusquer, stocker, organiser, diffuser et exploiter les informations et la valeur ajoutée apportées aux informations dans un but de développement économique de l’entreprise ou du cabinet.
Définir de véritables produits juridiques
La notion de valeur ajoutée à la norme est importante. La plus value qui distingue le juriste conseil du fournisseur d’information juridique, c’est la valeur ajoutée qu’il apporte à la loi en la commentant ou en l’utilisant avec pertinence lors d’une transaction déterminée. Un système de KM interne est un des éléments fondamentaux du positionnement du cabinet puisqu’il a un impact sur la création des produits de celui-ci. En termes de marketing en général et d’approche produit en particulier, le knowledge management représente la transformation de son patrimoine humain et informationnel en un capital commun adapté aux besoins de la clientèle.
En effet, le savoir brut montre ses limites. Un juriste professionnel n’est plus consulté pour recevoir une information brute mais pour obtenir un décodage, un commentaire et une aide à la décision en fonction d’un contexte particulier. Le droit revêt bien souvent un caractère abstrait qui ne rencontre pas la situation pratique dans laquelle évolue le client même si les lois s’imposent à lui. Le droit est théorique, l’intermédiaire de l’avocat permet de le rendre pratique.
L’expérience et les compétences sont donc deux éléments valorisants qui s’ajoutent au savoir et rendent la notion de « gestion du savoir » inadéquate. Il serait plus opportun d’évoquer une notion de « gestion du savoir-faire » pour définir cette science dans son application aux cabinets d’avocats et de conseils ou aux départements juridiques. Du « knowledge management » au « know-how management ». Il est donc parfois opportun d’évoquer le KHM plutôt que le KM !
Le gestion des stocks pour le cabinet d’avocats
La plupart des cabinets d’avocats pêchent par un manque de mise en valeur de leur savoir-faire. Celui-ci reste bien souvent latent, non formalisé et avec une disponibilité toute relative pour les clients. La collectivité des associés et des avocats du cabinet ignore même très souvent la richesse du patrimoine intellectuel commun et toutes les possibilités qu’il peut offrir. Pour résoudre cette lacune et éviter de manquer certaines opportunités, on en vient à considérer une conception analogue au monde économique traditionnel : la « gestion des stocks ».
Lorsque le cabinet intègre en juillet ou en septembre de jeunes avocats stagiaires, lorsque la direction développe un programme de formation continue pour ses avocats, lorsque le cabinet mandate un chasseur de tête pour attirer une ou plusieurs individualités spécialisées dans un domaine juridique spécifique, lorsque le cabinet se rapproche ou fusionne avec une autre structure, n’est-il pas utile de passer par un processus de gestion du stock juridique ? La réalisation d’une « due diligence » au sein de sa propre structure permet ainsi de faire l’inventaire des connaissances et des compétences de l’outil de production que sont les avocats. Certes, le langage économique pur peut heurter par son vocabulaire dans son application au monde juridique mais il est incontestable que certaines constantes sont repérables pour les juristes.
Pour le spécialiste du marketing, l’inventaire des connaissances et des compétences est le prérequis d’une politique sérieuse de marketing. Dans un plan marketing, la première étape est bien de savoir qui l’on est et ou l’on se situe. Il importe de pouvoir inventorier et diagnostiquer ce que les juristes peuvent offrir à la clientèle et au marché. Le juriste ne vend pas son temps, il vend ses compétences. L’indice temporel n’est qu’un élément de facturation, pas un produit ou un service en tant que tel. C’est à cet endroit précis que le knowledge ou know-how management sont complémentaires du marketing.
Du savoir-faire technique au savoir-faire organisationnel
Si nous avons distingué le savoir pur du savoir-faire, il est nécessaire de faire une seconde distinction. La richesse patrimoniale d’une entreprise de conseil n’est pas exclusivement son savoir-faire technique en l’occurrence juridique. Une entreprise ou un cabinet bien structuré dispose d’un savoir-faire organisationnel qui peut aussi être valorisé envers la clientèle. Ainsi, deux grandes entreprises candidates à la fusion seront à la recherche d’un cabinet d’avocats qui peut certes fournir des prestations juridico-techniques en accord avec les besoins de la transaction. Mais elles seront aussi particulièrement attentives à l’organisation managériale de la prestation. Le cabinet devra pouvoir libérer suffisamment de ressources humaines et techniques à bref délai pour une période parfois relativement indéterminée. Il devra démontrer sa capacité à composer des équipes pluridisciplinaires qui tiennent la route et s’adaptent aux particularités de la fonction.
Dans le cadre d’appels d’offre et de « beauty contests », qui font souvent souffrir les cabinets en termes d’échéance, la bonne organisation se révèle un élément clé pour remporter les marchés. Sur certains marchés publics et pour répondre aux clients institutionnels, la certification aux normes ISO 9000 relève de l’organisation pure et s’avère de plus en plus des pré-requis pour accéder à certains marchés.
Bref, le savoir-faire organisationnel, à travers la réactivité, la flexibilité, la continuité et la conformité, sera parfois aussi prépondérant que le savoir-faire technique pur dans le processus d’analyse du client.
Après avoir eu un impact sur la politique de produit, le KHM a un effet sur la politique de distribution, c’est-à-dire, l’organisation et la structuration du cabinet ou du département juridique.
Affiner son positionnement sur le marché
Une des grandes caractéristiques du marché du droit en général est l’extrême homogénéité des offreurs de services. Dans les yeux des consommateurs de droit, les prestataires de services offrent une palette de services largement similaires. Il est vrai que les avocats ont cultivé pendant des décennies un réflexe et une culture corporatiste qui ne favorise pas la différenciation. La différenciation est un des concepts clés de la stratégie marketing. Il s’agit de l’élément qui permet de définir un avantage concurrentiel face aux autres prestataires, un moyen de se démarquer sur le marché du droit en capitalisant sur ses forces et en minimisant ses faiblesses.
Une politique de différenciation vient donc se juxtaposer en aval de l’inventaire des compétences et du savoir-faire que nous évoquions plus haut. Une approche produit fondée sur le KHM devient donc un moyen utile pour se différencier des autres offreurs juridiques. Le client comprend mieux l’approche produit que l’approche service traditionnelle privilégiée par la plupart des cabinets d’avocats. Ainsi de manière caricaturale, il s’agit de distinguer le droit financier et l’introduction en bourse, le droit social et la procédure de licenciement collectif, le droit de la famille et le divorce. Reformuler au sein des disciplines juridiques, son savoir en termes de produits va naturellement bien au-delà d’un effort sémantique. Certes, le langage est important mais la réalisation d’un produit demeure un processus complexe ayant des implications en termes de complémentarité, de réponse aux besoins de marché, d’évaluation et rentabilité économique, de courbe de vie,… Le droit est une denrée périssable avec une viabilité relativement courte. Si la société post-industrielle ou pré-technologique dans laquelle nous vivons innove et rénove, le juriste en est le premier bénéficiaire. Le(s) législateur(s) innove(nt) et rénove(nt) aussi le droit pour le plus grand bien des juristes professionnels qui doivent pouvoir y trouver autant de nouveaux produits que le KHM leur permet de valoriser.